La magie du crépuscule – Une nouvelle d’Elom Defly

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Par Élom Defly
mardi 30 octobre 2012
La magie du crépuscule - Une nouvelle d'Elom Defly
Le ciel noir cédait peu à peu la place à du bleu. Il devait être dans les cinq heures, par là. (Crédit photo : Beautesdemontreal.com)
Le ciel noir cédait peu à peu la place à du bleu. Il devait être dans les cinq heures, par là. (Crédit photo : Beautesdemontreal.com)

Il y a de ces nuits où tu te réveilles en sursaut dans ton lit poursuivi par un mauvais rêve qui germe dans ton inconscient comme le chiendent à côté d’une jeune pousse.

Je me levai rapidement de mes draps que j’accusais d’être complices de mes tribulations. La lueur qui jaillissait de ma lampe de chevet créait un jeu d’ombre et de lumière dans la chambre. Je fixai cette lueur un instant pour être certain de ne pas replonger dans les ténèbres d’un sommeil mouvementé.

J’enfilai les premiers vêtements chauds que j’avais sous la main. J’avais décidé de dissiper mon angoisse dans une virée crépusculaire.

En passant le seuil de la chambre, je jetai un dernier coup d’oeil à mes draps froissés et, comme le curé, je soupirai «ah bon Dieu, si l’on était deux!» Je marchais depuis plus d’une heure. Le vent qui soufflait avec modération entraînait mon écharpe dans une sorte de tango solitaire. Le ciel noir cédait peu à peu la place à du bleu. Il devait être dans les cinq heures, par là.

Sur un banc public qui bordait une ruelle, je regardai un couple de dos enlacé, qui faisait front commun contre le froid. Visiblement, je n’étais pas le seul à avoir un problème avec Morphée. Pour une fois, je décidai de surmonter mes habituelles idées sombres avec lesquelles j’avais sûrement dû partager les seins de ma mère. «Cette fois, je ne râlerai pas, je ne chialerai pas, je ne ver rai nul le par t de critique sociale.» Je me forçai plutôt à contempler l’amour dans une saison qui ne s’y prêtait pas, dans l’automne des solitudes.

Comme il devait être bon d’aimer ! En regardant les deux amoureux, j’avais la vision de deux coeurs qui battent en deux ou quatre temps sur le rythme sensuel d’une chanson de Gainsbourg. Les mots devraient être illusoires pour exprimer de telles émotions. Il suffirait d’en répéter un seul encore et encore jusqu’à ce que les deux coeurs ne se fondent l’un dans l’autre pour former une seule entité.

Les deux tourtereaux levèrent les yeux vers le haut. Ce que je fis aussi, entraîné par l’effet de mimétisme.

Le ciel avait changé. Le soleil présentait un dos rond éblouissant dont les rayons glissaient sur des nuages épars teintés de rouge. Au loin, des oiseaux chantaient l’arrivée du jour ou le départ de la nuit.

Le couple, qui se leva avec regret comme des spectateurs à la fin d’un film palpitant, n’avait rien à voir avec les amoureux plongés tantôt dans le clair-obscur. Ce n’était plus qu’un vieux monsieur soutenu d’un côté par une canne, et de l’autre par une femme d’âge avancé. Pour la sensualité et Gainsbourg, on repassera.

Mais, c’était peut-être aussi cela l’amour. Regarder l’autre par le prisme de sa propre perception, qui n’aurait rien à voir avec la réalité. Se laisser envoûter par la magie qui transforme les abysses en montagnes.

Seul le jour, traître, pouvait rompre cette illusion. Les vieux amoureux s’en allèrent. Moi, fidèle à mes habitudes, je me délectais de la morosité de mon existence en marchant et en sifflotant l’air de «Kraft Dinner» de Lisa LeBlanc. Je ne croyais plus à la magie.