Volume 24

La feuille de coca

Le doctorant en science politique en cotutelle à l’UdeM et à l’Université de Lille 2, en France, Romain Busnel, étudie la politisation des activités économiques licites et illicites à travers le cas de la feuille de coca. Plus spécifiquement, il s’intéresse aux formes de mobilisation sociale dans les régions de La Convención et de la Vallée des fleuves Apurímac et Ene (la VRAE) au Pérou, et dans la région de Chapare en Bolivie. « La culture de la coca est ancrée socialement et contrôlée par différents acteurs sociaux, lance Romain. Ils peuvent être des syndicats, des associations de producteurs, des coopératives ou des groupes d’autodéfense, qui sont tous plus ou moins liés à la feuille de la coca. » La mobilisation collective autour de cette production est intéressante pour comprendre les contraintes et les solutions du milieu, selon lui. « Je cherche à accorder la parole aux acteurs autour de la feuille de la coca, explique-t-il. Actuellement, de la façon dont les politiques sont décidées à l’international, c’est quelque chose qui n’est pas du tout valorisé. »

Une expérience humaine

Romain demeure principalement dans les zones rurales afin d’être au plus près des acteurs. Pour récolter ses informations, il s’entretient individuellement avec des agriculteurs et observe des réunions publiques ou syndicales. « Il y a des discours qui divergent d’un acteur à un autre, affirme-t-il. Ils ne sont pas tout à fait d’accord au sujet de l’organisation syndicale. »

La production de la feuille de coca est un sujet complexe en Amérique du Sud. « Les cultivateurs eux-mêmes savent très bien qu’une grande partie de la production est destinée au narcotrafic », précise Romain. Cela complexifie son approche sur le terrain. « Quand un gringo [NDLR : un étranger] arrive et te dit qu’il va faire des recherches, forcément, ça soulève des questions, raconte-t-il. Les gens se demandent si je ne suis pas un narcotrafiquant. » Certaines régions sont plus à risques que d’autres, notamment la VRAE, où les gens sont très méfiants, car ce sont des zones post-conflit où il existe encore beaucoup de violence. « Psychologiquement, ce genre de situation est un peu dur parfois, comme quelqu’un qui passe à côté de toi en moto et qui te traite de trafiquant d’organes », témoigne l’étudiant.

La directrice de recherche de Romain et professeure au Département de science politique à l’UdeM, Françoise Montambeault, souligne la nécessité de mettre en place une démarche d’observation participante pour récolter des informations. « Il s’agit d’une réalité très difficile à observer, explique-t-elle. Une démarche d’observation participante permet de développer des comportements et des interactions qui se situent plus souvent dans l’informel et les pratiques du quotidien. »

Ainsi, Romain tente de s’intégrer au quotidien des acteurs qu’il étudie en participant aux différents loisirs qu’on lui propose, comme jouer au football ou pêcher. « J’arrive à développer des contacts plus informels avec les gens, qui vont s’ouvrir plus facilement et me raconter beaucoup plus de choses », confirme-t-il.

Par ailleurs, le jeune homme indique qu’il doit parfois demeurer plus longtemps que prévu au même endroit, à cause de la difficulté du déplacement dans les zones rurales. « Il y a des taxis collectifs, souligne-t-il. Parfois des gens peuvent t’emmener, mais tu restes très dépendant des transports en commun. »

Pour se loger, Romain procède au jour le jour, en fonction de la région dans laquelle il se trouve. « Au Pérou, j’ai principalement fonctionné avec les hôtels, alors qu’en Bolivie, je connais des gens qui me prêtent une chambre », détaille-t-il en soulignant l’importance d’avoir un réseau de soutien pour s’organiser durant son séjour.

La théorie et le terrain

En recherche, on opère souvent un aller-retour entre la théorie et le terrain, d’où l’importance de recourir à un « pré-terrain », soit une exploration dans la recherche. « Le terrain a un côté stressant : on a des pistes, des hypothèses, mais on n’est pas sûr que ça va fonctionner », explique Romain. Il rappelle qu’il est nécessaire de se préparer au mieux et sur une plus longue période que ce qui est prévu.

Au sujet de la recherche de terrain, Françoise Montambeault affirme que les étudiants vivent beaucoup d’incertitude en cours de route. « Mon rôle est de les accompagner dans l’exercice de réflexion et de les guider dans les choix méthodologiques qu’ils font en préparation de leur terrain », soutient-t-elle. Elle ajoute qu’une fois que les étudiants sont sur place, ils échangent régulièrement avec elle à propos de l’avancement du travail, des stratégies de recherche déployées et des choix quotidiens.

Romain terminera sa période de terrain à la fin du mois de juillet 2017 pour commencer la rédaction de sa thèse. « Il y a un côté mystique à ces expériences, comme lorsqu’un cultivateur m’emmène en moto dans son champ de coca, à travers la forêt tropicale », dévoile-t-il. Pour l’étudiant, ce projet de recherche est autant une expérience humaine qu’académique.

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