«L’instagrammabilité », un nouvel objectif commercial

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Par Esther Thommeret
lundi 2 novembre 2020
«L'instagrammabilité », un nouvel objectif commercial
Le Crew Collective & Café à Montréal est particulièrement prisé par les adeptes d'Instagram pour son esthétique. Crédit : pxhere
Le Crew Collective & Café à Montréal est particulièrement prisé par les adeptes d'Instagram pour son esthétique. Crédit : pxhere

Instagram incite de nombreux commerces et cafés de Montréal à repenser leurs aménagements intérieurs, afin d’être « instagrammables ». Les espaces dont l’aspect favorise les photographies sembleraient avoir un intérêt économique.

« Je m’étais donné comme défi de démystifier les mécanismes d’influence d’Instagram sur l’architecture et le décor intérieur », explique l’étudiant à la maîtrise en urbanisme François Bergeron. Dans le cadre de ses recherches, il a décidé de se pencher sur le phénomène « d’instagrammabilité », qu’il estime actuel, mais peu abordé à l’université. « En architecture, on explore beaucoup de thèmes qui sont parfois très abstraits, alors que ce phénomène-là a des effets qu’on peut voir très facilement », ajoute-t-il. 

Mais finalement, qu’est-ce qu’un espace « instagrammable » ?

Le contrôle de l’arrière-plan

« Au niveau de l’espace, ce qui est pertinent est de contrôler l’arrière-plan, développe François. Si on prend quelqu’un en photo, il ne doit pas y avoir d’autres personnes présentes. » D’après lui, cet espace peut, par exemple, être une petite niche, ou encore permettre des « jeux de niveau ». « C’est comme prendre des photos d’un deuxième étage, par exemple, sans voir personne au premier, explique-t-il. Ça peut être autant des grands que des petits espaces, tant que l’arrière-plan est contrôlé. »

La simplicité des formes est également un critère, selon l’étudiant, qui cite le café Pastel Rita à Montréal pour illustrer ses propos. « Il y a une niche où tout est rose, une banquette où tout le monde va se prendre en photo », précise-t-il.

Une appropriation « libre » de l’espace

Pour que l’espace soit « instagrammable », François estime qu’il ne doit pas nécessairement avoir une fonction précise. « Ce sont souvent des espaces qui offrent une grande liberté d’appropriation, détaille-t-il. Ce sont des espaces qui ont une fonction assez libre, comme un café ou une librairie. Parfois, l’appropriation se fait aussi dans des espaces qui proposent plus d’intimité, comme des toilettes ou des cabines d’essayage. »

De l’intérêt économique à la pression de performance

Pour François, il existe un intérêt économique à « l’instagrammabilité » d’un commerce. « À partir du moment où les gens se prennent en photo dans les cafés ou dans les magasins, ça devient un peu la publicité du lieu, souligne-t-il.

L’étudiant donne l’exemple des pop-up museum. « Ce sont les exemples extrêmes de ce phénomène, affirme-t-il. Ce sont de grandes installations temporaires qui sont faites pour que les gens se prennent en photo. C’est un modèle d’affaires où les propriétaires d’un lieu font de l’argent juste avec l’instagrammabilité de celui-ci. » Les gens payent, d’après lui, entre 10 $ et 30 $ pour se prendre en photo dans ces endroits.

 

Le Hideseek, un pop-up museum de Montréal, qui a récemment fermé ses portes en raison de la pandémie.

 

François ajoute cependant que la manière dont la plateforme est utilisée peut infliger une pression aux établissements commerciaux tels que les cafés et les magasins. D’après lui, pour pouvoir continuer de bénéficier de cette publicité, les cafés peuvent sentir une certaine pression à se soumettre aux critères d’« instagrammabilité ». 

Quelles contraintes au niveau de l’aménagement ?

D’après lui, cet effet « instagrammable » peut avoir comme éventuelle contrainte de réduire le confort de l’espace. « Les contraintes qu’il peut éventuellement y avoir sont au niveau de la qualité de l’environnement, explique-t-il. Oui, c’est bon pour un commerce, mais au niveau de la qualité environnementale, ça ne veut pas dire que l’espace est mieux conçu. » Pour lui, il faudrait penser à faire des espaces « instagrammables » tout en conservant la qualité de l’aménagement.

François s’intéresse actuellement à ce phénomène d’« instragrammabilité » dans un contexte de projet public. « Si on reconnait qu’Instagram a le potentiel de faire la promotion d’un lieu, pourquoi ne pourrait-on pas faire la promotion de quelque chose qui soit un bien commun ou un bienfait pour la société ? », s’interroge-t-il. Par exemple, un centre sportif pourrait, par son « instagrammabilité », contribuer à populariser l’activité physique chez les jeunes.