Kanye, please run away

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Par Justin D. Freeman
mercredi 10 novembre 2010
Kanye, please run away

Je ne voudrais pas jouer au puriste à deux sous ni au « nostalgique d’un passé qui n’a jamais existé », mais honnêtement, ce à quoi j’assiste m’effraie : les rappeurs actuels deviennent peu à peu les rockeurs d’hier. Je m’entends : des débiles satisfaits, généralement drogués et souvent ridicules.

Attention, je suis un grand fan de rap – et pas seulement parce que je fais plus d’un mètre quatre-vingt- dix. J’adore cette musique, j’adore les valeurs que le hip-hop véhicule – peace, unity, love, and having fun bande d’ignares ! J’aime cette contre-culture qui vient de la rue et qui a réussi à s’imposer dans les zones pavillonnaires. Seulement voilà : Aujourd’hui, rapper ne rime plus à rien. Le plus bel exemple de cette douce déchéance est Kanye West. De mémoire de catholique, je n’ai pas vu un mec aussi sûr de lui depuis Jésus Christ. À l’époque, le dude était capable de transformer de l’eau en vin et ça, c’était vraiment cool. Aujourd’hui, l’ayatollah du hip-pop est tout juste devenu bon à transformer des étrons en dollars, fort d’un nom désormais brandé et surcoté.

Mec, n’est pas J.C. (prononcez Jay Cee, c’est plus hip-hop) qui veut ! N’en déplaise à ton bling-bling christique et à tes allusions « cèniques»; MA musique ne se résume pas à une bande de noirs qui bouffent de la soupe et du pain au sésame autour d’une Marie-Madeleine « phénixisée». Runaway, ton court-métrage censé redonner au vidéoclip ses lettres de noblesse (dans la veine de Thriller) est d’une photographie impeccable, et ce n’est pas étonnant quand on connaît ta mégalomanie et ton rapport à l’image. En revanche, sur un point, cette oeuvre est à l’exact opposé de ce que tu es : terriblement pauvre.

Pauvre de sens tout d’abord, avec des images qui s’enchaînent de manière anarchique : quelques animaux pour l’écologie, quelques explosions parce que c’est viril et puis un marching band parce que ouais, c’est super classe – on est d’accord. Pire encore, l’ensemble est pauvre musicalement. Tu ne fais plus surchauffer ta MPC, tu ne t’arraches pas au micro : désolé, mais à mes yeux (et surtout à mes oreilles finalement) tu ne fais plus que de la «paube» (savant mélange de pop et de daube*).

Le rap est un cri de révolte. Pourtant, depuis quelque temps j’entends plus souvent de l’auto-tune que des autistes qui beuglent. Malgré tout ça existe encore ! Si, si je vous le jure ! Mon dernier poulain criard s’appelle Soulkast, il rappe presque mieux que le Suprême NTM en 1993. C’est un rappeur français qui vient de Lille (j’aime autant préciser que le Nord-Pas-de-Calais n’est pas un haut lieu historique du hip-hop francophone…) et le type a été capable d’inviter Talib Kweli, DJ Premier, IAM, Ghostface Killah et Das EFX sur son premier disque. Son PREMIER disque ! Même pas encore sorti mais déjà dans mon top 2011, c’est non négociable.

Je ne veux pas savoir comment ce Français débutant a financé tous ses invités prestigieux, mais les hip-hop heads se rappelleront sûrement la manière dont Easy-E a lancé son label (et accessoirement les carrières de Dr Dre ainsi que d’Ice Cube) : grâce à l’argent de la drogue.

Si je devais choisir un «moindre mal musical » c’est clair, je demanderais moins de millionnaires et plus d’affamés, moins de facilité et plus d’envie… En bref : moins de cokeheads et plus de dealers.

*Ce qui est de piètre qualité.

LEXIQUE HIP-HOP

MPC: Littéralement MIDI Production Center. L’acronyme désigne la gamme d’échantillonneurs/ séquenceurs de référence produite par AKAI depuis 1988. Par extension, MPC est devenu un terme générique pour ce type d’outils.

Auto-tune: Procédé qui consiste à modifier directement le signal de la voix pour lui faire atteindre la justesse désirée par diverses distorsions. Ne pas confondre avec le vocoder ou la talk-box qui permettent eux de renvoyer le signal d’un clavier ou d’une guitare dans la bouche du chanteur qui pourra instantanément moduler son chant autour des notes jouées. Les deux méthodes précitées demandent « du talent, du toucher et de la technique » alors que l’autotune non.

Suprême NTM: Crew de hip-hop français datant du début des années 1980, qui s’appelait au départ 93 NTM pour «Seine-Saint-Denis Nique Ta Mère ». NTM fait toujours salle comble, trop bien connue pour mettre son public en feu.

Easy-E: Rappeur et producteur américain. Il a posé les bases du mouvement gangsta rap avec le groupe N.W.A. (Niggaz With Attitude) à la fin des années 1980. Il est mort du sida en 1995, laissant derrière lui neuf enfants nés de sept femmes différentes.