Volume 27

Le vendredi 18 octobre s’est tenu la 30e édition de la Nuit des sans-abri, un événement de solidarité envers les personnes en situation d'itinérance, organisé dans une trentaine de villes du Québec.

Jeunes et sans domicile fixe

« Ce n’est pas parce que les sans domicile fixe que l’on voit dans la rue sont plus âgés que ça veut dire qu’il n’y a pas d’itinérance chez les jeunes, bien au contraire, affirme la directrice du refuge jeunesse En marge 12-17, Marie-Noëlle L’Espérance. C’est qu’on les voit moins et qu’ils sont plus difficiles à joindre. »

La professeure associée à l’École de travail social de l’UdeM Jacinthe Rivard explique qu’auparavant, les jeunes itinérants étaient plus facilement identifiables : ils étaient vêtus d’un style particulier, étaient en groupe et investissaient l’espace public. « Depuis ces dix dernières années, il y a un mouvement de changement chez les jeunes, qui fait que les profils ne sont plus les mêmes », souligne-t-elle. Elle ajoute que les jeunes sont désormais plus isolés et dispersés, notamment après des années de répression. Ce fut le cas à Montréal, des années 1990 aux années 2000, où la police a cherché à éloigner les jeunes itinérants du centre-ville.

Pour Mme Rivard, la situation d’itinérance renvoie donc à une réalité plus complexe que l’absence de logement. « Est en itinérance une personne qui, même si elle a un toit sous lequel s’abriter, n’y est pas en sécurité », décrit-elle en se référant à la définition établie en 2014 par le gouvernement québécois dans sa Politique nationale de lutte à l’itinérance*. Elle explique que l’instabilité résidentielle est ainsi une forme d’itinérance qui touche plusieurs populations, dont les jeunes

Le thème choisi pour cette 30e édition de la Nuit des sans-abri est « Différents visages, différentes histoires ». Crédit photo : Mathilde Bombardier
Le thème choisi pour cette 30e édition de la Nuit des sans-abri est « Différents visages, différentes histoires ».
Crédit photo : Mathilde Bombardier

. Un manque d’orientation

Souvent inexpérimentés et mal informés, les jeunes ne sont pas outillés pour faire face à des réalités telles que le coût élevé des loyers à Montréal, selon la directrice de la Maison Tangente, Johanne Cooper. Cet organisme est une maison d’hébergement accueillant des jeunes âgés de 18 à 25 ans qui ont vécu l’itinérance ou qui sont à risque de connaître cette situation. Il offre des services visant à répondre à leurs besoins dans leur vie adulte.

La diplômée en coordination événementielle du Cégep André-Laurendeau Blanche de Grandpré, qui a connu l’itinérance à l’âge de 19 ans, a rencontré ces difficultés. « Tu es confronté à une réalité où tu es supposé être dans le monde adulte, mais tu n’es vraiment pas prêt pour ça », explique-t-elle.

Selon Mme Cooper, le manque d’accompagnement est problématique pour les itinérants issus des centres jeunesse, même si la situation s’est améliorée ces quinze dernières années. Gabriel Guénette s’est retrouvé sous mandat de la protection de la jeunesse (DPJ) quand il était mineur. Aujourd’hui âgé de 26 ans, le jeune homme déplore le manque d’orientation offert par ces services. « À 18 ans, ils ne m’ont pas dit quelles étaient les ressources, soutient-il. Ça aurait peut-être pu m’éviter d’errer à droite et à gauche pendant cinq ans. »

Blanche de Grandpré qui a connu l’itinérance, a récemment terminé ses études en coordination d'événements au Cégep André-Laurendeau. Crédit photo : Mathilde Bombardier
Blanche de Grandpré qui a connu l’itinérance, a récemment terminé ses études en coordination d’événements au Cégep André-Laurendeau.
Crédit photo : Mathilde Bombardier

« En difficulté, pas itinérants »

La directrice de la Maison Tangente explique que les jeunes vont chercher d’autres solutions avant de s’appuyer sur des ressources appropriées à leur situation. « Souvent, ils n’ont plus de domicile fixe, mais trouvent toujours quelque chose, jusqu’au jour où ils épuisent leur réseau social et n’ont nulle part où aller, explique-t-elle. C’est à ce moment-là qu’ils font appel à une ressource externe. »

Pendant sept ans, Gabriel s’est appuyé sur son réseau social pour s’en sortir. « Je trainais à droite à gauche, je ne connaissais pas les ressources, confie-t-il. J’étais orgueilleux aussi, puis je me gelais, donc je ne pensais pas tant à ça. »

Pour Mme Rivard, c’est la non-identification à l’itinérance qui explique ce comportement. « Ils ne veulent pas être étiquetés comme des itinérants, donc ils ne sentent pas interpellés par les ressources disponibles », soutient-elle.

C’est le cas de Blanche, qui avoue sa difficulté à reconnaître son expérience d’itinérance. « Ça me fait tout le temps un choc quand on me rappelle que j’ai vécu l’itinérance, confie-t-elle. C’est presque comme si je ne le voyais pas comme ça. »

Le rôle des organismes communautaires

Pour Mme Cooper, le réseau communautaire a un rôle important pour aider ces jeunes à ne pas finir dans la rue. « Plus on va à la rue, plus on y développe un ancrage, et avec cela vient s’installer le phénomène d’itinérance », développe-t-elle. Le but de son organisme celui d’organisations semblables est de prévenir cet ancrage et ce, de différentes manières.

La directrice de En marge 12-17 souligne la nécessité de parler de ces enjeux avec les jeunes pour les informer. « Comme ils ne s’y identifient pas, il faut aller les chercher, d’où la sensibilisation dans les milieux scolaires et de plus en plus tôt , explique-t-elle. Avant, on le faisait au niveau collégial, maintenant, on le fait au secondaire .» Elle ajoute que des organismes vont également faire de la prévention dans les centres jeunesse.

Pour aider les jeunes à s’en sortir, il faut leur donner un appui et les outils pour développer leur autonomie, d’après Mme Cooper. « On fait de l’accompagnement en milieux de vie et l’on cherche à augmenter leur autonomie », précise-t-elle.

Pour Blanche, c’est un processus qui prend du temps. Elle avoue qu’il lui a fallu huit ans. « Tu te reconstruis, tu travailles sur toi, puis après avoir fait ça, tu ressens un équilibre, soutient-elle. Tu as toujours besoin de la communauté, mais tu n’as plus besoin qu’on s’occupe de toi. »

Les organismes interrogés affirment aussi la nécessité de garder une attitude d’accueil et d’ouverture envers les jeunes qui sont venus les trouver plut tôt. « À En marge, on est dédié aux mineurs, mais un jeune qui était venu nous voir lorsqu’il était âgé de 12 à 17 ans peut revenir nous rendre visite jusqu’à ses 21 ans, car c’est important de ne pas couper rapidement le contact à 18 ans », déclare Mme L’Espérance.

Gabriel Guénette est maintenant travailleur autonome et aimerait retourner aux études. Son rêve est d’acheter un voilier et de vivre dessus. Crédit photo : Mathilde Bombardier
Gabriel Guénette est maintenant travailleur autonome et aimerait retourner aux études. Son rêve est d’acheter un voilier et de vivre dessus.
Crédit photo : Mathilde Bombardier

Des défis pour l’avenir

Malgré les efforts du communautaire pour répondre aux besoins des jeunes, des problèmes persistent, à l’instar du manque de ressources en région, note Mme Cooper. « Il y a des régions où il n’y a que des maisons pour mineurs, et les seules offres de services accessibles sont des refuges où se mélangent des gens de 18 à 64 ans, souligne-t-elle. Des personnes ne se reconnaissent pas dans ces endroits, parce que ça leur renvoie l’image de l’itinérance.»

Comme Blanche, qui est originaire de Blainville, les jeunes vont aller dans de plus grandes villes comme Montréal pour tenter de s’en sortir. « C’est vraiment quand j’ai fait le transfert [à Montréal] que tout c’est débloqué, avant, il n’y avait pas de possibilité s», détaille-t-elle.

Les organismes existants sont également confrontés à de nouveaux enjeux. « Nos besoins ont grandi, parce que les jeunes avec lesquels on travaille ont des problématiques plus lourdes qu’avant comme la santé mentale, la déficience intellectuelle ou la question de l’identité de genre », affirme Mme Cooper. Elle ajoute qu’il s’agit de problématiques différentes, qui exigent un accompagnement plus précis, plus individualisé et qui prennent davantage de temps.

Pour Mme Rivard, si la solution se trouve en partie entre les mains des organismes communautaires, il s’agit avant tout d’un problème de société. « Résoudre ce problème, ce n’est pas juste un enjeu personnel, c’est un enjeu structurel, soutient-elle. Pour qu’il n’y ait plus de jeunes dans ce type de situation, il faut que l’on accepte de se regarder comme société et que l’on fasse des choix. » Elle évoque par exemple l’obtention d’un minimum vital acceptable au niveau de l’aide sociale.

 

Après avoir vécu l’itinérance pendant plusieurs années, Blanche a retrouvé une situation stable et est pleine d’espoir pour l’avenir. « Il y a vraiment moyen de s’en sortir ici, affirme-t-elle. Il faut tricoter et à chaque fois que tu as besoin de quelque chose, aller le chercher, ne pas prendre un non pour un non et continuer à défoncer des portes, tout est là ! ». Gabriel a pour sa part trouvé un appartement il y a quelques mois et envisage de reprendre ses études avant de réaliser ses rêves.

Une marche de solidarité a précédé la Nuit des sans-abri de Montréal. Le cortège est parti à 17 heures du métro Joliette avant d’arriver au marché Maisonneuve. Photos : Courtoisie Nicolas Couture pour le Réseau d’aide aux personnes seules et itinérantes de Montréal (RAPSIM)
Une marche de solidarité a précédé la Nuit des sans-abri de Montréal. Le cortège est parti à 17 heures du métro Joliette avant d’arriver au marché Maisonneuve.
Photos : Courtoisie Nicolas Couture pour le Réseau d’aide aux personnes seules et itinérantes de Montréal (RAPSIM)

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