Culture

Jean-Jacques Nattiez : Prophète en son Québec

Depuis son arrivée en 1970 au Québec, le musicologue français Jean- Jacques Nattiez a tracé sa route, de jeune coopérant militaire à professeur émérite et pionnier de la sémiologie musicale – la linguistique appliquée à la musique. Fin 2011, c’est le zénith de la distinction civile que s’est vu décerner le natif d’Amiens (nord de la France), avec une promotion qui l’a élevé au rang d’officier de l’Ordre du Canada, après en avoir été nommé membre en 1990.

Jean-Jacques Nattiez Professeur de l’UdeM tout juste élevé au rang d’officier de l’Ordre du Canada (Crédit photo : Pascal Dumont)

Quartier Libre : Quelle a été votre réaction à cette promotion?

Jean-Jacques Nattiez : Cela fait plaisir. Ce qui me touche le plus, c’est qu’à travers moi, la musicologie gagne encore en respectabilité. En général, pareille promotion survient après une série de récompenses : en l’occurrence, la médaille d’or du CRSH (Conseil de recherches en sciences humaines du Canada) et celle de l’Académie des lettres du Québec, que j’ai reçues en 2009. Ce fut formidable pour la musicologie de terminer sur la plus haute marche du podium devant 30 compétiteurs et d’être considérée comme une science à part entière. J’ai milité toute ma carrière pour cela.

Q. L. : À quoi ressemblait l’UdeM en 1970, à votre arrivée comme enseignant ?

J.-J. N. : C’était un chantier en construction. Le Québec accusait un déficit culturel vis-à-vis du monde anglophone. Le premier point positif a été cette volonté d’asseoir une culture dans sa spécificité francophone. Ce qui m’a toujours frappé ici, c’est le sérieux avec lequel les gens développent leur discipline et se focalisent sur les objectifs fondamentaux au-delà des ego et des clans, contrairement à la France. Cette effervescence, je l’ai ressentie jusqu’à aujourd’hui. Au début, ce qui m’a convaincu de rester, c’est la gentillesse des Québécois. M’installer au Canada demeurera la meilleure décision de ma vie. Je n’aurais pas fait dans mon pays d’origine le tiers de ce que j’ai accompli ici sur le plan professionnel. Enfin, le sens de l’organisation ainsi que la qualité de vie montréalaise me facilitent beaucoup la tâche.

Q. L. : Que voudriez-vous dire aux néophytes concernant la sémiologie musicale ?

J.-J. N.: Il s’agit de montrer comment la création du compositeur et la perception de l’auditeur s’assemblent. En linguistique, on parle d’émetteur et de récepteur, bien que ce dernier terme me gêne un peu. Il ne rend pas compte du caractère constructeur de la perception, et du fait que le récepteur reconstruit ce qu’il entend. Le mélomane redonne sans cesse du sens à une oeuvre musicale, quelle qu’elle soit. Ce faisant, il est actif et non seulement témoin. La sémiologie tente d’unir les différents paramètres de ce processus. Dans son Traité des objets musicaux, Pierre Schaeffer (ingénieur, compositeur et écrivain français du XXe siècle) suggère de reprendre les modèles rigoureux de la linguistique: c’est la musique en tant que discours articulé. L’on baptisera cette nouvelle école la «sémiologie musicale », dont le sillon s’est creusé au fil du temps.

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