Roger Gaudry, Marie Victorin, Maximilien Caron, André Aisenstadt : ces noms vous sont familiers
? Ils identifient des immeubles présents sur le campus de l’UdeM. Mais tous les pavillons
ne sont pas faits égaux. Certains laissés pour compte n’ont pas de nom propre : ils sont tout
simplement connus par leur adresse civique. Cette semaine, nous nous intéressons à deux
pavillons se trouvant sur la rue Jean-Brillant : le 3200 et le 3744.
Voici un récit inspiré
de la vie de Jean
Brillant.
Des claquements répétitifs emplissent
l’air. Deux soldats allemands
mitraillent les combattants ennemis
qui viennent d’apparaître devant eux.
En ce mois d’août 1918, ils ont
comme mot d’ordre de défendre la
ville d’Amiens coûte que coûte. Ils
savaient qu’une attaque se préparait,
mais pas si vite… Ils mitraillent
donc. Que peuvent-ils faire d’autre ?
Une ombre surgit soudain. Quelques
secondes et s’en est fini des deux
Allemands. Ils ne sauront jamais qui
est leur assassin. Ils ne sauront jamais
qu’il a 28 ans, qu’il est né dans la vallée
de la Matapédia au Québec, et
qu’il se nomme Jean Brillant.
Jean Brillant est lieutenant pour le
22e bataillon, la seule unité d’infanterie
canadienne-française à combattre
lors de la Première Guerre
mondiale.
Soufflant devant les deux cadavres,
Jean se rappelle qu’il a déjà vécu si –
tuation semblable. Trois mois aupa –
ravant, il avait réussi à tuer, encore
seul, quatre ennemis en plus d’en
capturer un autre vivant. Blessé, il
était revenu au combat. Comme
récompense, il doit recevoir une
Croix militaire en septembre. Mais
faut-il encore qu’il survive à la
bataille d’Amiens… une pensée qu’il
met rapidement de côté.
Le lendemain, un autre combat. Des
coups de baïonnettes transpercent
les corps. Les explosions de grenades
ne cessent de retentir. Finalement, la
poussière retombe. Jean est content.
Ses deux pelotons viennent de prendre
150 prisonniers et 15 mitrail –
leuses. Il porte la main sur sa tempe.
Le sang ne ment pas : blessure à la
tête.
Ce n’est pourtant pas le moment de
lâcher. Jean se rappelle les histoires
de sa jeunesse : son grand-oncle était
dans la milice de Rimouski, son
arrière-grand-père avait servi sous le
général Cornwallis, même l’ancêtre
des Brillant au Canada, Olivier Morel
de La Durantaye, était dans le régiment
de Carignan-Salières. Le lieutenant
Brillant poursuit donc sa
marche.
Depuis deux ans qu’il est en France,
il a passé des mois dans les tranchées
sans voir un ennemi. «On a hâte de
voir les “boches” », avait alors écrit
le militaire à sa famille. Il en était
même tombé malade de ne pas
bouger. Pas question pour lui de se
retrouver une fois encore à l’hôpital,
loin de l’action.
Un sifflement suivi d’une détonation
met fin à ses réflexions. Un canon
d’artillerie de quatre pouces tire de
plein fouet sur son unité. Sans
hésiter, Jean décide de charger. À travers
les sifflements des obus et la
fumée des explosions, il court. Il
court pour ses camarades. Il court
pour sa famille. Il court pour le
Canada. Il court pour l’Empire britannique.
Sa course se fait soudainement
plus difficile. Une douleur aigüe
traverse son ventre. «Continuer, il
faut continuer», doit se dire Jean
Brillant, qui s’écroule finalement
pour ne plus jamais se relever. Fin
abrupte.
Il ne saura jamais qu’il recevra la
Croix de Victoria «pour bravoure et
zèle infatigable dans l’accomplissement
de son devoir».
Il ne saura jamais qu’une rue au flanc
du Mont-Royal sera baptisée en son
honneur.
Il ne saura jamais que les nombres
3200 et 3744 seront associés à
jamais à son nom pour des milliers
d’étudiants montréalais.