Jamais sans mon cell

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Par Katy Larouche
mercredi 29 janvier 2014
Jamais sans mon cell
(ILLUSTRATION: NAVID MOGHADDAM)
(ILLUSTRATION: NAVID MOGHADDAM)

Il nous suit partout. Certains ne l’éteignent jamais. Il sonne souvent à des moments inopportuns, mais permet de trouver en quelques secondes beaucoup d’informations. Le cellulaire fait maintenant partie de la vie des étudiants pour le meilleur et pour le pire.

«Je me sens nue quand je n’ai pas mon téléphone», explique l’étudiante en communication à l’UdeM Marie-Lise Mormina. Elle fait tout pour éviter une telle situation. «Je traine mon chargeur partout avec moi, juste au cas où», ajoute celle qui reconnaît accorder beaucoup de temps à cet objet technologique. «Je sais, c’est un peu pathétique, mon affaire », admet l’étudiante.

Comme beaucoup d’étudiants, Marie-Lise ne saurait se passer de son téléphone intelligent, ne serait-ce qu’une journée. Elle n’est pas la seule dans cette situation. Un sondage réalisé en 2008 et rapporté par le journal anglais The Telegraph démontre que 53% des Britanniques se sentent anxieux quand ils n’ont pas leur téléphone.

Mal du siècle?

Les résultats étonnants de ce sondage ont inspiré la création d’un terme pour désigner ce nouveau mal : la nomophobie. L’expression qui a maintenant fait le tour du monde est tirée de No mobile phone phobia, c’est-à-dire la phobie d’être privé de son téléphone.

«Le mot téléphone n’est plus porteur de ce que représente cet objet aujourd’hui, estime le professeur au Département de communication de l’UdeM André Caron. Ça fait maintenant partie de l’identité des jeunes. » Contenant à la fois des photos, des listes de contacts et des renseignements personnels, le cellulaire est devenu une extension de notre mémoire, pense le professeur. C’est pourquoi de moins en moins de gens réussissent à s’en passer.

Les étudiants éprouvant des difficultés d’apprentissage seraient toutefois un public à risque. « Pour certains étudiants, internet est un mode d’évitement, explique la coordonnatrice au Centre étudiant de soutien à la réussite (CÉSAR), Dania Ramirez. C’est un outil dans lequel on peut se perdre et s’éparpiller facilement et, une fois qu’on y est, ce n’est pas évident de revenir dans la réalité des études.»

Marie-Lise constate aussi les impacts de l’utilisation de son cellulaire sur ses études. «Quand je suis en cours, honnêtement, je regarde mon téléphone toutes les cinq ou sept minutes », estime-t-elle. Bien que cela ne compromette pas sa réussite, elle admet que cette habitude a des répercussions considérables sur son attention en classe.

Sevrage forcé

«En septembre, je demande à mes nouveaux étudiants à la maîtrise de n’utiliser leur téléphone qu’à la maison et au travail durant 10 jours », raconte le professeur André Caron. L’expérience que ses étudiants relatent dans leur rapport a de quoi surprendre. «Certains affirment être stressés et déstabilisés durant les 48 premières heures», ajoute-t-il. Ces signes peuvent, à première vue, faire penser à une forme de dépendance.

Selon le psychologue-coordonnateur du Centre de santé et consultation psychologique de l’UdeM (CSCP), Daniel Moisant, il ne faut pas tirer de conclusions hâtives. «La dépendance aux nouvelles technologies n’est, pour l’instant, pas admise dans le DSM-5», soutient-il en faisant référence au Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux de l’Association américaine de psychiatrie. À sa connaissance, les étudiants de l’UdeM n’avaient pas consulté les psychologues du CSCP pour ce motif.

Le professeur spécialisé en toxicomanie et en dépendance de l’École de travail social de l’UQAM Ammon Jacob Suissa voit la situation d’un autre œil. « Même si elle n’est pas admise dans le DSM-5, la dépendance aux nouvelles technologies existe, soutient le professeur en travail social de l’UQAM. Ce n’est pas l’objet ou la substance qui cause une dépendance, c’est d’abord la personne qui souffre d’un problème d’abus.»

Toutefois, M. Suissa admet que la nomophobie est, sur le plan social, plus acceptée que d’autres formes de dépendances, ce qui rend cette phobie plus difficile à cerner. «Le test d’Orman est un bon outil de dépistage qui se trouve dans internet», estime-t-il. Conçu par le DrMort Orman, ce test permet d’évaluer le niveau de cyberdépendance d’un individu. Selon M. Suissa, ce test peut également servir de point de repère en ce qui concerne les téléphones intelligents.

Marie-Lise, qui a accepté de se soumettre au test, a obtenu un résultat de quatre réponses positives sur neuf, ce qui indique qu’elle risque de développer un comportement de dépendance. Comme ce trouble demeure à l’étude, il convient de considérer les résultats du test avec prudence, ce qui n’empêche pas Marie-Lise de s’interroger quant à ses habitudes. Comme l’a fait André Caron avec ses étudiants, M. Suissa suggère de fixer des balises de temps d’utilisation de ces appareils, ne serait-ce que pour réaliser l’importance qu’on leur accorde.

« Je sais que c’est impoli pour mes amis et mes profs, et c’est ce qui me dérange le plus, se désole Marie-Lise Mormina. C’est un comportement complètement asocial.» Bien que consciente du problème, elle sait que circonscrire l’usage qu’elle fait de son téléphone pourrait se révéler une entreprise de taille. Rappelons que ses collègues et amis carburent en bonne partie à ce rythme infernal.

Le cellulaire en cinq dates
• 1983 Motorola commercialise son 1er téléphone cellulaire destiné au grand public
• 1994 1er cellulaire intelligent le IBM Simon
• 1999 Le Nokia 7110 permet de naviguer dans internet
• 2000 1er cellulaire avec appareil photo intégré, le Sharp SH04, commercialisé exclusivement au Japon
• 2013 6,8 miliards d’abonnés à la téléphonie cellulaire mobile dans le monde