Itinéraire d’un camelot

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Par Félix Lacerte-Gauthier
lundi 22 janvier 2018
Itinéraire d’un camelot
(Photo : Pixabay.com | Rony Michaud)
(Photo : Pixabay.com | Rony Michaud)
Camelot pour le magazine L’Itinéraire, Mostafa Glillah est retourné sur les bancs d’école à l’automne dernier. C’est grâce au contact avec des étudiants de l’UdeM qu’il a pris cette décision.
Derrière les plus beaux sourires se cachent souvent bien des expériences et des malheurs. Derrière la délicatesse de ses interventions se cache énormément de vécu.
Philippe Tousignant, Chargé de cours à l’UdeM

Mostafa s’estime chanceux d’avoir été assigné à la station de métro Édouard-Montpetit. Il n’y est pas stigmatisé autant que peuvent l’être d’autres camelots, parfois perçus comme des mendiants. De plus, le contact avec de nombreux étudiants de l’UdeM le stimule. « J’ai besoin de débattre, s’exclame-t-il. Être là-bas m’a fait revivre. Je ne voulais pas seulement regarder des étudiants aller à l’école, tandis que je ne faisais rien. »

À l’automne 2017, parallèlement à son travail de camelot, il a donc décidé d’entreprendre un certificat en coopération internationale qu’il prévoit faire calmement, au rythme d’un à deux cours par trimestre. Il le paie de sa poche avec de l’argent qu’il a mis de côté. « Je ne sais pas si ça me mènera à un emploi, mais je suis sûr d’une chose : les études ne sont jamais perdues », affirme-t-il.

Le chargé de cours Philippe Tousignant, qui a enseigné à Mostafa le cours Enjeux et perspectives de la coopération internationale, garde de bons souvenirs de l’étudiant. « C’est vraiment quelqu’un de charmant, qui avait toujours un souci de trouver le mot juste, explique-t-il. Ses examens étaient aussi d’une très belle rigueur intellectuelle. Par contre, il était un peu bavard dans les cours, bien que ses interventions n’étaient jamais hors sujet. »

Renaître par l’écriture

C’est après avoir passé une semaine à la Mission Old Brewery que Mostafa s’est joint à L’Itinéraire, en novembre 2015. « Ce qui a fait la différence pour moi est que L’Itinéraire croit en mes compétences, admet-il. C’est le seul organisme qui a cru en moi. » Il a rapidement pu écrire pour le magazine, qui l’a accompagné dans ses démarches de réinsertion.

À L’Itinéraire, la responsable de la formation des participants, Karine Bénézet, accompagne Mostafa depuis son entrée en poste au magazine. « Travailler avec lui, c’est une partie de plaisir, lance-t-elle. Il a une grande culture générale et c’est quelqu’un qui adore écrire, mais surtout, qui adore apprendre. » Elle précise qu’il possède déjà un très bon bagage de connaissances, ce qui lui permet d’aller dans les détails. « À la limite, avec lui, ce qu’il faut plutôt faire, c’est d’apprendre à couper », dit-elle en riant.

Apprivoiser un nouveau pays

Avant d’immigrer à Montréal, Mostafa occupait un poste d’enseignant dans une école primaire de la région du Rif, au Maroc. Mais c’est d’abord pour améliorer son sort, tout en étant conscient qu’il n’aurait peut-être pas un meilleur emploi au Québec, qu’il est venu s’y installer. « J’ai demandé l’immigration parce que j’avais des doutes sur ma santé, et que j’avais peur de la société marocaine où il n’y a pas de filet social, confie-t-il. J’avais peur, qu’un jour, si je n’arrivais pas à travailler, d’être à l’abandon. » C’est ainsi qu’il a atterri au Canada le 11 août 2002.

« J’étais une personne qui ne pouvait pas vraiment garder ses emplois », avoue-t-il. Au début de 2004, il se retrouve à l’organisme de réinsertion sociale Renaissance, qui le pousse à retourner à l’école. Il s’inscrit en anglais professionnel à l’Université McGill, mais finit par abandonner le programme. « J’ai vécu des moments difficiles et j’ai tout laissé tomber en même temps, regrette-t-il. Ça m’a appris à ne jamais lâcher. »

Par la suite, des difficultés relationnelles ont fait en sorte qu’il n’a plus eu de domicile fixe de manière intermittente, une période qu’il qualifie d’itinérance psychologique. « Je n’ai jamais connu la rue, précise-t-il. J’ai eu recours à des services d’hébergement pendant un temps, mais je me suis toujours débrouillé pour avoir un toit. »

Bien que Mostafa n’ait jamais abordé les difficultés qu’il a vécues devant la classe, ses cicatrices étaient visibles, selon M. Tousignant. « Derrière les plus beaux sourires se cachent souvent bien des expériences et des malheurs, pense-t-il. Derrière la délicatesse de ses interventions se cache énormément de vécu. » Il rappelle que Mostafa distribue L’Itinéraire à l’entrée du pavillon où se donnait le cours, rendant ainsi ses difficultés plus visibles.

Pour Mostafa, il s’agit d’apprendre et de progresser. Avec l’aide de l’organisme Projet Logement Montréal, il a pu obtenir un logement subventionné en 2016, pour lequel il ne paie que 25% du loyer, ce qui, combiné à ses revenus provenant du Programme d’aide sociale, lui permet de vivre décemment. Il s’efforce maintenant de rembourser les dettes qu’il a contractées pendant son parcours. En attendant, il ne veut pas qu’on le regarde seulement comme un camelot, mais également comme un étudiant.


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