(Photo : Pixabay.com

Itinéraire d’un camelot

Mostafa s’estime chanceux d’avoir été assigné à la station de métro Édouard-Montpetit. Il n’y est pas stigmatisé autant que peuvent l’être d’autres camelots, parfois perçus comme des mendiants. De plus, le contact avec de nombreux étudiants de l’UdeM le stimule. « J’ai besoin de débattre, s’exclame-t-il. Être là-bas m’a fait revivre. Je ne voulais pas seulement regarder des étudiants aller à l’école, tandis que je ne faisais rien. »

À l’automne 2017, parallèlement à son travail de camelot, il a donc décidé d’entreprendre un certificat en coopération internationale qu’il prévoit faire calmement, au rythme d’un à deux cours par trimestre. Il le paie de sa poche avec de l’argent qu’il a mis de côté. « Je ne sais pas si ça me mènera à un emploi, mais je suis sûr d’une chose : les études ne sont jamais perdues », affirme-t-il.

Le chargé de cours Philippe Tousignant, qui a enseigné à Mostafa le cours Enjeux et perspectives de la coopération internationale, garde de bons souvenirs de l’étudiant. « C’est vraiment quelqu’un de charmant, qui avait toujours un souci de trouver le mot juste, explique-t-il. Ses examens étaient aussi d’une très belle rigueur intellectuelle. Par contre, il était un peu bavard dans les cours, bien que ses interventions n’étaient jamais hors sujet. »

Renaître par l’écriture

C’est après avoir passé une semaine à la Mission Old Brewery que Mostafa s’est joint à L’Itinéraire, en novembre 2015. « Ce qui a fait la différence pour moi est que L’Itinéraire croit en mes compétences, admet-il. C’est le seul organisme qui a cru en moi. » Il a rapidement pu écrire pour le magazine, qui l’a accompagné dans ses démarches de réinsertion.

À L’Itinéraire, la responsable de la formation des participants, Karine Bénézet, accompagne Mostafa depuis son entrée en poste au magazine. « Travailler avec lui, c’est une partie de plaisir, lance-t-elle. Il a une grande culture générale et c’est quelqu’un qui adore écrire, mais surtout, qui adore apprendre. » Elle précise qu’il possède déjà un très bon bagage de connaissances, ce qui lui permet d’aller dans les détails. « À la limite, avec lui, ce qu’il faut plutôt faire, c’est d’apprendre à couper », dit-elle en riant.

Apprivoiser un nouveau pays

Avant d’immigrer à Montréal, Mostafa occupait un poste d’enseignant dans une école primaire de la région du Rif, au Maroc. Mais c’est d’abord pour améliorer son sort, tout en étant conscient qu’il n’aurait peut-être pas un meilleur emploi au Québec, qu’il est venu s’y installer. « J’ai demandé l’immigration parce que j’avais des doutes sur ma santé, et que j’avais peur de la société marocaine où il n’y a pas de filet social, confie-t-il. J’avais peur, qu’un jour, si je n’arrivais pas à travailler, d’être à l’abandon. » C’est ainsi qu’il a atterri au Canada le 11 août 2002.

« J’étais une personne qui ne pouvait pas vraiment garder ses emplois », avoue-t-il. Au début de 2004, il se retrouve à l’organisme de réinsertion sociale Renaissance, qui le pousse à retourner à l’école. Il s’inscrit en anglais professionnel à l’Université McGill, mais finit par abandonner le programme. « J’ai vécu des moments difficiles et j’ai tout laissé tomber en même temps, regrette-t-il. Ça m’a appris à ne jamais lâcher. »

Par la suite, des difficultés relationnelles ont fait en sorte qu’il n’a plus eu de domicile fixe de manière intermittente, une période qu’il qualifie d’itinérance psychologique. « Je n’ai jamais connu la rue, précise-t-il. J’ai eu recours à des services d’hébergement pendant un temps, mais je me suis toujours débrouillé pour avoir un toit. »

Bien que Mostafa n’ait jamais abordé les difficultés qu’il a vécues devant la classe, ses cicatrices étaient visibles, selon M. Tousignant. « Derrière les plus beaux sourires se cachent souvent bien des expériences et des malheurs, pense-t-il. Derrière la délicatesse de ses interventions se cache énormément de vécu. » Il rappelle que Mostafa distribue L’Itinéraire à l’entrée du pavillon où se donnait le cours, rendant ainsi ses difficultés plus visibles.

Pour Mostafa, il s’agit d’apprendre et de progresser. Avec l’aide de l’organisme Projet Logement Montréal, il a pu obtenir un logement subventionné en 2016, pour lequel il ne paie que 25% du loyer, ce qui, combiné à ses revenus provenant du Programme d’aide sociale, lui permet de vivre décemment. Il s’efforce maintenant de rembourser les dettes qu’il a contractées pendant son parcours. En attendant, il ne veut pas qu’on le regarde seulement comme un camelot, mais également comme un étudiant.


2 2A

Partager cet article