Inhibitions empalées

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Par Philippe Lambert
mercredi 8 décembre 2010
Inhibitions empalées
Une photo de Noël donne toujours fière allure
Une photo de Noël donne toujours fière allure

Professionnelle d’âge mûr cherche à partager cocktail sympathique, dîner romantique ou aventures physiques. Grande et voluptueuse, j’adore l’inconnu. Présente-toi, dépeigne-toi, surprends-moi, aguiche-moi.

 

Ma photo en échange de la tienne.

 

Nathalie

Une photo de Noël donne toujours fière allure

Sur mon écran cathodique, la simple lecture de cette petite annonce m’inspirait plein d’idées pas catholiques. Répondre pour la première fois à une inconnue qui n’en voudrait qu’à mon corps, qui n’honorerait que les vertus de ma verge. Nervosité, l’abdomen qui me titille, la queue de l’âne qui frétille. Une photographie… échanger une photographie. Mais, laquelle ? Devoir donner une première impression décente. Damnée première impression, aussi moche qu’un problème d’érection. Comme au premier baiser, où la mauvaise haleine chamboule l’espérance d’une relation amoureuse idyllique, répondre à une petite annonce par un texte bâclé et une photographie jaunie d’amateurisme serait signer une lettre morte. Fureter dans les coulisses de l’album de photos familiales. Une photographie de Noël donne toujours fière allure. Il fait si bon pendant les Fêtes ! Du moins, c’est ce que toutes ses réclames veulent bien nous faire croire. Ah… voilà ! Cheveux noirs à mi-visage où s’éclatent de grands yeux verts. Un nez effilé règne sur de fraîches joues rasées parmi lesquelles le protagoniste du portrait, un rictus juvénile, brille grâce au flash qui se réverbère sur la pellicule laissée par la crème après-rasage. Si mère, plus que mûre, aime ce cliché, n’en déplaira certes à cette dame canonique. Et en réponse ? Mes doigts pianotent doucement sur le clavier une mélodie qui, je l’espère, sera douce aux lèvres de mon béguin.

Très chère Nathalie,

La lecture de ta petite annonce me provoqua de momentanées inhibitions. C’est la première fois que je signe ce type de lettre. Jeune et vif d’esprit, j’étudie l’histoire de l’art à l’Université de Montréal. Gonflé à la testostérone postpubère, je serais ravi de t’inviter à déguster un cocktail sympathique avant de dîner en romantiques pour ensuite s’aventurer… tu me suis ?

 

Ma photo, ci-jointe, échangée contre la tienne.

 

Philippe

Stupeur, stupéfaction, excitation, effervescence et fébrilité. Quelques heures peinèrent, et les cloches du courrier carillonnèrent l’arrivée d’une lettre virtuelle, mais peu vertueuse.

Cher Philippe,

 

Ta réponse m’a empalée. J’accepte volontiers ton invitation.

 

Comme promis, ma photo attachée.

Nathalie

Pantois d’une réplique promptement positive, ma surprise me décrocha la mâchoire à la vue de l’épreuve téléchargée. Mûre et baroque, la dame illustrée par ce cliché revisitait l’oeuvre d’Otto Dix et Van Dongen. Cheveux cendrés, rides protubérantes, rouge à lèvres écarlate outrancier et courbes généreuses faisant la part belle aux hanches robustes et au buste antique, le tout bichonné par un déshabillé affriolant la lingerie stérile d’une autre époque. Malgré tout, cette vision grossière évoquait mes premiers songes de la chose sexuelle, alors que mon regard de la tendre enfance dévisageait les modèles en sous-vêtements du catalogue Sears. Revivre la vigueur de la bouffée de chaleur originelle. Comprendre, que des années plus tard, le langage inextricable du corps qui s’excite. Irrésistible poussée qui provoque le toucher. Ferveur du gland qui enfle. Comme l’âne, la tête de mule frétille et le membre raidit. La masse se laisse masser par sa main caressante jusqu’à ce que semences laiteuses jaillissent. Exaltation nerveuse et soudaine !

Alors que mes esprits se calmaient et que mon souffle s’apaisait, mes doigts palpaient les touches gommées du clavier et s’agitaient à écrire la date et l’heure d’un premier rencard. Du coup, mes réflexions sur l’incongruité de notre possible réunion ramenèrent ma raison. Comme si cette première impression laissée par Nathalie gâchait une deuxième occasion de m’appâter. Mes doigts, bloqués par la superficialité du désir charnel, crispèrent et enfoncèrent la touche supprimer. Damnée première impression.