Immersion en maison d’hébergement

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Par Lisa Lasselin
lundi 19 décembre 2016
Immersion en maison d'hébergement
Il existe dix maisons d’hébergement recensées à Montréal sur le site de la Fédération des maisons d’hébergement pour femmes (FMHF). Crédit photo : Flickr.com/Dimsum.
Il existe dix maisons d’hébergement recensées à Montréal sur le site de la Fédération des maisons d’hébergement pour femmes (FMHF). Crédit photo : Flickr.com/Dimsum.
Quartier Libre transporte ses lecteurs sur le terrain, au coeur des projets de recherche menés par des étudiants. Dans ce numéro, les étudiantes en criminologie à l’UdeM Anne-Marie Nolet et Adélaïde Tanguy, respectivement au doctorat et à la maîtrise, se sont rendues en maison d’hébergement, auprès des femmes victimes de violence conjugale.

« Je me suis intéressée à comment mêler les réseaux sociaux et l’intervention, explique Anne-Marie Nolet. Toutes les femmes ont un réseau personnel, c’est-à-dire des personnes qui les entourent tous les jours, comme leurs amis ou collègues. Je me suis demandé si ce réseau les soutenait ou les isolait. » L’étudiante a mené pendant six mois des recherches de terrain dans des maisons d’hébergement qui proposent de l’aide aux femmes victimes de violence conjugale, que ce soit dans leurs démarches pour trouver un nouveau logement, pour aller en justice ou entamer une procédure de divorce.

Anne-Marie a ainsi fait de l’observation participative, c’est-à-dire qu’elle a assisté aux réunions des résidentes ayant lieu chaque lundi. Elle a aussi, dès le départ, présenté son projet à chacune d’entre elles. « J’ai proposé des entrevues avec les femmes, toujours avec pour objectif d’observer le fonctionnement des maisons d’hébergement, et comprendre comment celles-ci peuvent s’inscrire dans la trajectoire des victimes », indique l’étudiante.

Trouver sa place

La doctorante n’a pas immédiatement trouvé sa place et son rôle au sein de la structure, n’étant ni intervenante ni femme hébergée. « Il était parfois difficile de faire comprendre que je venais uniquement pour les observer, sans apporter de solutions, mais que cela servirait à éclairer les professionnels, et ainsi à adopter de meilleurs dispositifs d’aide », dévoile Anne-Marie. Cependant, une fois sa place trouvée, l’étudiante a été confrontée à des situations aussi enrichissantes que poignantes. « J’avais déjà travaillé en maison d’hébergement avec des jeunes en difficulté, je savais ainsi comment fonctionnaient les établissements, qu’il y allait avoir certaines tâches, et probablement des conflits », ajoute-t-elle.

Selon la coordinatrice de projets à TrajetVi, Josiane Maheu, il n’est pas toujours aisé de connaître les enjeux et défis reliés aux maisons d’hébergement. « Quand on est étudiant, on peut avoir une certaine idée, mais lorsque l’on est confronté à la réalité, la situation peut être un peu différente », indique-t-elle. Faire des stages et de la recherche de terrain est donc fortement recommandé pour le développement professionnel et la réflexion personnelle des étudiants dans ce domaine.

L’étudiante s’estime chanceuse d’avoir pu ouvrir les portes des maisons d’hébergement au Québec, entre autres grâce à sa participation au projet de recherche sur la violence conjugale Trajetvi, déjà en relation avec les structures. « Les femmes ont besoin de l’aide offerte par les maisons d’hébergement, mais en même temps, il faut qu’il y ait autour un filet social un peu plus proactif, donc une meilleure compréhension par la société en général de ces violences subies, affirme-t-elle. Il y a des femmes qui se font blâmer par leur entourage, ça complique les choses et elles se retrouvent parfois encore plus isolées. »

Créer des liens

Faire en sorte que la confiance s’installe avec les victimes n’est pas toujours facile d’après Adélaïde Tanguy, qui a participé elle aussi à des observations en maison d’hébergement. Il peut être compliqué pour ces femmes de se confier sur leur vécu, car reparler des violences physiques ou morales peut parfois être une véritable souffrance. « Ne sachant pas trop comment contourner la difficulté, j’ai d’abord essayé de me raccrocher à ma grille, révèle-t-elle. J’ai vite compris que ça ne marcherait pas, donc j’ai mis de côté mon carnet de notes. Cette action a eu l’effet d’un premier déclic : cela réduisait l’image de chercheuse que je dégageais. »

Adélaïde explique que partager des anecdotes personnelles avec les victimes peut être bénéfique. « Cela contribue à développer un lien plus solide que lors d’une entrevue formelle de recherche », croit-elle. Adélaïde a, peu à peu, réussi à mettre en confiance ses interlocutrices et à réorienter la discussion vers ses questions. « C’est au chercheur, dans sa façon d’aborder l’entrevue, d’identifier les obstacles qui se dressent, et de mettre en place des solutions pour les contourner du mieux qu’il peut », dit-elle.

Selon Mme Maheu, la recherche de terrain en maison d’hébergement permet de faire des liens avec les théories. « Cela permet aussi de créer un maillage entre les milieux universitaire et communautaire, les étudiants s’intègrent sur le marché du travail dans lequel ils vont travailler », affirme-telle. Anne-Marie estime toutefois que les violences faites aux femmes sont toujours taboues, et même banalisées.