Campus

Il y a 10 ans : « La plus grande mobilisation de l’histoire du Québec »

Lors de sa campagne électorale pour un second mandat en 2007, Jean Charest, alors premier ministre du Québec depuis 2003, s’engage à annuler le gel des droits de scolarité en place depuis 14 ans. Cette promesse se concrétise et de 2007 à 2011, les droits de scolarité augmentent de 100 $ par année.

Toutefois, dans le plan budgétaire annoncé en mars 2011, le gouvernement libéral avise que l’augmentation s’élèvera désormais à 325 $ par an, pour une période de cinq ans. Cette hausse doit devenir effective à partir de l’automne 2012, alors que les frais s’élèvent cette année-là à 2 168 $, ce qui entraînerait un total de 3 793 $ en 2017, soit une augmentation de 75 % par rapport à 2012.

Mobilisation étudiante

À la suite des annonces du gouvernement Charest, le mécontentement étudiant se fait entendre sur les campus de la province ainsi que dans les cégeps et écoles secondaires.

« Quand ça a débuté, de mémoire, c’était en novembre 2011, il n’y avait personne qui avait prévu que ça allait durer aussi longtemps et que le mouvement aller prendre autant d’ampleur », se rappelle le photographe indépendant Pascal Dumont, alors journaliste pour Quartier Libre. Selon la professeure titulaire au Département de science politique de l’UdeM Pascale Dufour, le cœur des événements a duré six mois. « Six mois d’intenses mobilisations, précise-t-elle. C’est la plus grande mobilisation de l’histoire du Québec. »

Durant cette période, presque quotidiennement, des actions étudiantes émergent de façon inattendue et souvent originale. « Tous s’exprimaient de différentes manières, que ça soit par la littérature, par les arts… poursuit Pascal Dumont. Je pense que c’était aussi ça qui était beau à voir pendant cette période-là. C’était une période incroyablement créative. »

L’énergie est aussi foisonnante au sein des associations étudiantes. « Il y avait beaucoup de débats qui étaient très sains, et on adoptait beaucoup d’amendements et de sous-amendements », se rappelle l’animateur à CISM Oliver Vinette. À l’époque, il achève tout juste son baccalauréat en communication et politique et préside des assemblées générales d’associations étudiantes. « Au début, c’était des assemblées de vote de grève, mentionne-t-il. Après un mois ou deux, c’était des votes de grève générale illimitée. C’est-à-dire qu’on était en grève, mais jusqu’à ce que l’on gagne sur un nombre prédéfini de points. Puis, quand il y avait des propositions du côté du gouvernement, on faisait une assemblée générale pour voir comment on allait se positionner. Après, les représentants des associations allaient exprimer leur voix à la FAÉCUM [NDLR : Fédération des associations étudiantes du campus de l’Université de Montréal], qui apportait sa voix à la FEUQ [NDLR : Fédération étudiante universitaire du Québec]. »

« [Les assemblées générales] étaient fréquentes pour pouvoir renouveler les mandats de grève des associations, indique la secrétaire générale de la FAÉCUM, Marie-Hélène Rivest. Du côté de la Fédération, je sais que la fréquence des conseils centraux, pendant le plus fort du printemps, était hebdomadaire. Présentement, on a une instance par mois. »

À partir du 24 avril 2012, des manifestations ont lieu tous les soirs à Montréal. Souvent, elles se finissent en confrontation avec la police. Crédit photo : Pascal Dumont

Le 22 mars 2012 marque un tournant dans l’histoire des mouvements étudiants au Québec. Selon le rapport de la Commission spéciale d’examen des événements du printemps 2012, 310 000 étudiant·e·s, sur un total de 400 000, sont en grève au Québec ce jour-là. À Montréal, on dénombre de 100 000 à 200 000 personnes dans les rues pour le retrait du projet d’augmentation des droits de scolarité, selon les sources. C’est alors la plus grosse manifestation que connaît le Québec, depuis celle contre la guerre en Irak en 2003.

« [Les étudiant·e·s] ont réussi à imposer la question des droits de scolarité, de l’accès aux études supérieures, souligne Mme Dufour. Ils ont même réussi à faire débattre de la question de la gratuité scolaire, qui n’était plus du tout dans le portrait, dans le débat public, et ce, pendant plusieurs mois. »

La situation s’intensifie

Le 23 avril 2012, la ministre de l’Éducation, Line Beauchamp, demande une trêve de 48 heures pour entreprendre des négociations avec les trois principaux regroupements d’associations étudiantes : la FEUQ, la Fédération étudiante collégiale du Québec (FECQ) et la Coalition large de l’Association pour une solidarité syndicale étudiante (CLASSE). Le lendemain soir, un petit groupe d’étudiant·e·s se retrouvent au centre-ville de Montréal pour protester contre cette demande. Comme la CLASSE a annoncé le regroupement sur son site Internet, elle se retrouve exclue des négociations pour non-respect de la trêve. Le lendemain, les carrés rouges [NDLR : Mouvement qui militait contre la hausse des frais de scolarité] organisent l’« Ostie de grosse manif de soir », laquelle réunit 12 000 personnes à Montréal pour une manifestation nocturne contre l’exclusion de la CLASSE.

À partir de ce jour, des manifestations ont lieu tous les soirs à Montréal. Souvent, elles se finissent en confrontation avec la police. « Il y avait une barrière de manifestants, et après, une barrière de policiers, décrit M. Dumont. Et quand elle décidait de charger, elle chargeait. Que tu aies eu une caméra, que tu aies été journaliste ou non, elle chargeait tout le monde. Je me suis fait charger, gazer et j’ai aussi perdu une lentille de caméra à la suite d’un coup de bâton reçu. »

Selon le journaliste, ces confrontations avec la police atteignent un sommet à Victoriaville, le 4 mai 2012, lors du conseil général du Parti libéral. Dix policiers et dix manifestants sont alors blessés, dont trois grièvement. Selon le rapport de la Commission spéciale d’examen des événements de 2012, il y avait environ 2 000 manifestant·e·s.

Le 18 mai 2012, pour tenter de contrôler les manifestations qui se multiplient, le gouvernement Charest dépose le projet de loi 78, qui deviendra la loi 12. Cette loi spéciale interdit aux étudiant·e·s de bloquer les accès aux universités et exige que l’itinéraire des manifestations de plus de 50 personnes soit fourni au moins huit heures à l’avance. Le même jour, la Ville de Montréal instaure le règlement P-6, lequel interdit le port du masque lors de manifestations.

En réaction à ces annonces, des citoyen·ne·s sortent sur leur balcon en frappant sur des casseroles pour exprimer leur appui aux carrés rouges et se retrouvent pour des marches pacifiques dans leur quartier, défiant volontairement la loi 12. Cette action est reconduite tous les soirs. « C’était magnifique de voir la population, les enfants, les personnes âgées, les familles, tout le monde s’unir avec leur casserole tous les soirs », détaille Pascal Dumont.

« En 2012, on n’avait pas besoin de faire partie d’une organisation syndicale ou d’un groupe communautaire pour prendre une casserole et taper dessus sur son balcon, précise Mme Dufour. C’est devenu un véritable mouvement social au sens où ce n’était pas seulement un mouvement étudiant. »

Le 22 mai 2012, pour les 100 jours du début de la grève, environ 200 000 personnes manifestent encore à Montréal.

Le 12 avril 2012, 700 personnes ont envahi le pavillon Roger-Gaudry, ont effectué plusieurs actes de vandalisme et ont tenté de défoncer la porte du bureau du recteur. Crédit photo : Pascal Dumont

Et à l’UdeM

« Souvent, on va dire que l’Université de Montréal est quand même pas mal à la traîne des mobilisations, remarque Mme Dufour. Ce n’était pas le cas en 2012 ! » Les résultats d’un sondage1 qu’elle a mené en 2013 avec l’Université McGill et l’Université du Québec à Montréal (UQAM) indique que 48 % des étudiant·e·s de l’UdeM ont participé aux manifestations pendant le Printemps érable.

L’accès à l’Université est bloqué plusieurs fois et une immense bannière en forme de carré rouge est suspendue sur la tour du pavillon Roger-Gaudry, le 26 mars 2012. Cependant, l’événement du 12 avril 2012 marque l’histoire de l’UdeM : 700 personnes envahissent le pavillon Roger-Gaudry, effectuent plusieurs actes de vandalisme et tentent de défoncer la porte du bureau du recteur. « Sur le moment, on ne savait pas si oui ou non, le recteur était encore de l’autre côté de ces fameuses grandes portes-là que les étudiants tentaient de défoncer, se souvient Pascal Dumont. Et effectivement, il y avait un conseil d’administration. C’était vraiment un truc important. Mais finalement, la porte n’a jamais été défoncée. »

En conséquence de toutes ces actions, plusieurs gardiens de sécurité sont déployés sur le campus, et l’Université fait appel au Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) à plusieurs reprises. Les 27 et 28 août 2012, le groupe tactique d’intervention se déploie dans les couloirs de l’UdeM et arrête les carrés rouges qui veulent bloquer le retour en classe. Quartier Libre rapporte alors 30 arrestations pour ces deux journées2.

Finalement…

Les négociations patinent et les tensions augmentent. Le 1er août 2012, M. Charest déclenche les élections générales, et le 4 septembre qui suit, le Parti québécois (PQ) de Pauline Marois prend le pouvoir.

Dans les jours qui suivent sa victoire aux élections, le PQ retire la loi 12, annule l’augmentation des droits de scolarité et convoque un sommet supérieur sur l’éducation, qui instaure une indexation des frais de 3 % par année. « Les frais de scolarité sont encore abordables au Québec, mais ils ne sont pas gelés, précise M. Dumont. Ce qui est pour certains une victoire est pour d’autres une demi-victoire, et pour d’autres encore une défaite. »

 

Pascal Dumont se souvient de Victoriaville

À Victoriaville, le 4 mai 2012, lors du conseil général du Parti libéral, dix policiers et dix manifestants sont blessés, dont trois grièvement. Crédit photo : Pascal Dumont

« Pour moi, le moment le plus marquant, c’est vraiment Victoriaville. Au Québec, même au Canada, je n’avais jamais vu, journalistiquement parlant, une telle quantité de policiers de la Sûreté du Québec. C’était hallucinant ! Les hélicoptères descendaient juste au-dessus de nos têtes pour être sûrs que les gaz puissent se répandre partout. Après ça, ils ont sorti les fameux fusils à balles de caoutchouc, qui sont reconnus comme des armes à létalité réduite. Ça ne tue pas… Ça tue moins, en fait. Mais ça tue quand même, si c’est mal utilisé. Il y avait un étudiant, Maxence 3, juste à côté de moi, qui l’avait reçu en plein dans la tête, dans son œil. Il s’était ramassé dans un coma. J’ai aussi vu une étudiante qui avait perdu toutes ses dents, un autre qui avait un bout d’oreille arraché. Ces armes-là ne sont pas conçues pour viser dans le torse ou la tête. C’est vraiment fait pour les jambes. C’était un chaos total ! Ça m’a marqué et jusqu’à aujourd’hui, c’est vraiment dans ma mémoire, 10 ans plus tard !

D’un autre côté, je me fais l’avocat du diable. La Sûreté du Québec fait aussi son travail. Il y avait un congrès du Parti libéral, et elle, ce qu’elle avait à faire, c’était de défendre une forteresse. Elle s’est sentie attaquée, et elle a utilisé la manière forte. C’est son métier aussi. Elle est payée et entraînée pour faire cela. C’est juste que lorsque tu le vois et que tu le vis, et que tu es pris entre les deux, tu te dis : « OK, mais qu’est-ce qui se passe » Puis tu dois courir partout et pleurer, car tu as tellement respiré de gaz que tu veux vomir ta vie… »

 

1. Maple Spring Up Close: The Role of Self-Interest and Socio-Economic Resources for Youth Protest.

2. https://quartierlibre.ca/wp-content/uploads/2012/09/QLvol20no1_5sept_2012.pdf

3. https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/712840/valade-maxence-poursuite-sq-manifestation-perte-oeil-victoriaville

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