I want you…

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Par Karina Sanchez
mercredi 15 octobre 2014
I want you…
Les affiches de recrutement de la Première Guerre mondiale sont les ancêtres de la publicité moderne, selon le professeur agrégé au Département d’histoire Carl Bouchard.
Crédit photo : Isabelle Bergeron
Les affiches de recrutement de la Première Guerre mondiale sont les ancêtres de la publicité moderne, selon le professeur agrégé au Département d’histoire Carl Bouchard.
Crédit photo : Isabelle Bergeron
La Première Guerre mondiale (1914-1918) est racontée dans les livres, les films et, en ce moment, à la Bibliothèque des livres rares et collections spéciales (BLRCS) de l’UdeM. Pour le 100e anniversaire du début de cette guerre, une exposition composée essentiellement d’affiches de propagande y est présentée jusqu’au printemps 2015.
« Ils sont d’une violence qu’on ne retrouverait pas aujourd’hui et c’est surprenant. Il est intéressant d’analyser le travail de conviction employé pour que les hommes s’impliquent dans la guerre, comme le ton de culpabilité. »
Carl Bouchard, Professeur agrégé au Département d’histoire de l’UdeM

«C’est une collection formidable, explique le professeur agrégé au Département d’histoire de l’UdeM Carl Bouchard . Il n’y a pas beaucoup de bibliothèques dans le monde qui détiennent de telles affiches. » L’UdeM possède une collection de plus de 3 500 affiches de guerre. L’exposition propose trois thématiques : le recrutement, le financement de la guerre, et le soutien aux troupes.

Le bibliothécaire à la Bibliothèque des lettres et sciences humaines (BLSH) Mathieu Thomas a travaillé pendant huit ans pour répertorier cette collection sur la banque d’objets numériques Calypso, qui est accessible gratuitement sur le site web de la BLSH. Chaque affiche a été nommée, numérisée et une description détaillée lui a été affiliée. « J’ai sélectionné pour cette exposition un échantillon d’affiches représentant plusieurs pays combattants et des moments charnières de la guerre », relate-t-il.

L’étudiant au certificat en histoire Kévin Teulière attribue plusieurs fonctions à cette exposition.« Elle est utile pour ceux qui étudient le contexte de l’époque, car ça donne une image sur une période donnée de l’Histoire, avance-t-il. Et puis, elle permet de saisir le système de propagande utilisé à ce moment-là. »

Pour l’étudiant au baccalauréat en biochimie Steven Ketchankeu il s’agit aussi d’un devoir de mémoire. « Cela permet de ne pas oublier les personnes qui se sont battues pour la libération de leur pays », croit-il.

Propagande naissante

Les premières affiches du début de la guerre se limitaient à partager des mots. « Elles étaient très archaïques », assure Mathieu Thomas. Afin de mieux capter l’œil du spectateur, des images colorées et accrocheuses sont par la suite élaborées. Cette façon de faire rejoint mieux également la portion analphabète de la population. « À l’époque,la publicité était considérée comme vulgaire, surtout en Europe, et servait a priori à vendre un produit, rappelle M. Thomas.C’est la première fois à l’époque qu’on l’utilise pour vendre une idée, mais ce type de publicité a finalement été accepté, car elle vendait une bonne cause selon les gens. »

Pour Carl Bouchard, les affiches liées à la Première Guerre mondiale sont les ancêtres de la publicité moderne. « Elles favorisaient la réflexion sur les émotions em­ployées dans les messages pour encourager le combat, notamment par le patriotisme, la culpabilité, la revanche, dit-il. Encore aujourd’hui, il faut convaincre les personnes d’aller en guerre, car la conscription n’existe pas dans les pays occidentaux. »

Les messages au gré de la guerre

L’étudiante en ergothérapie Béatrice Dionne ne comprend pas comment certaines affiches présentées à la BLRCS pouvaient persuader les hommes à participer à la guerre, dont l’une d’entre elles représentant un homme très sérieux. « Cette affiche est agressive, juge-t-elle. Un climat de terreur émane de l’image et je trouve que ça ne donne pas envie de suivre cet homme. »

Carl Bouchard admet que les discours sont parfois très forts. « Ils sont d’une violence qu’on ne retrouverait pas aujourd’hui et c’est surprenant, affirme-t-il. Il est intéressant d’analyser le travail de conviction employé pour que les hommes s’impliquent dans la guerre, comme le ton de culpabilité. Par exemple, certaines affiches font comprendre qu’un homme qui reste à ne rien faire n’est pas un vrai homme et mettent en avant le sentiment de honte que peuvent ressentir l’épouse ou les enfants envers un père lâche. »

Le ton des messages évolue toutefois au fil de la guerre. « Au début de la guerre, un discours optimiste et victorieux désigne le combat, explique Mathieu Thomas. Les hommes sont poussés à vivre une expérience unique. » Des concepts de victoire, de justice et de la défense des droits de l’homme sont mis de l’avant. Parfois, ce sont des femmes aux yeux séducteurs qui lancent des I WANT YOU for the army.

Quelques années plus tard, les affiches font place à des images plus sombres. « On a hâte d’en finir avec la guerre », affirme le bibliothécaire. Le ton utilisé vient exacerber le sentiment de culpabilité chez ceux qui ne se sont toujours pas enrôlés. Vers la fin de la guerre, un message de paix prédomine dans les affiches.

La Grande Guerre s’affiche
BLRCS | Pavillon Samuel-Bronfman

3000, rue Jean-Brillant | 4e étage, salle 4030

Jusqu’au printemps 2015

Gratuit