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Isabelle Leclaire au sommet de son art lors d’un match contre les Martlets de McGill. Photo

Pionnières à nouveau

Véritable figure de proue du hockey féminin, Danièle Sauvageau a été de tous les combats du hockey féminin. En plus d’être la directrice générale des Bleues, elle a récemment ajouté le titre de directrice générale de la nouvelle équipe professionnelle montréalaise à sa charge de travail. Elle est également cosignataire du rapport du Comité québécois sur le développement du hockey, publié en avril 2022.

Cette nouvelle ligue, la Ligue professionnelle de hockey féminin (LPHF), est la première qui regroupera toutes les meilleures hockeyeuses de la planète sous les mêmes cieux. Le salaire de chaque joueuse se situera entre 35 000 $ et 80 000 $ par année, et le salaire moyen de chaque équipe sera de 55 000 $. À ces montants s’ajoutent des indemnités et des bonis de performances individuels et d’équipe.

Une nette hausse par rapport aux salaires des défuntes ligues professionnelles que la LPHF remplace. « Je n’ai rien vu de tel dans le hockey féminin », explique Mme Sauvageau, qui a éga lement mené l’équipe canadienne de hockey féminin à sa première médaille d’or aux Jeux olympiques de Salt Lake City, en 2002.

La ligue n’était qu’à ses balbutiements en juillet, mais les premiers matchs sont déjà prévus pour janvier 2024. Certain·e·s se demandent pourquoi la LPHF, dont les équipes n’ont ni noms ni logos pour l’instant, n’attend pas d’avoir un produit fini avant d’inaugurer la saison. Mme Sauvageau croit que c’est important de la lancer dès que possible, malgré l’énorme charge de travail.

« Si on attend toujours d’être parfait, on pourrait attendre encore plusieurs années, souligne-t-elle. Le sport demande de l’agilité, et il va devoir faire preuve d’agilité au niveau de la gestion aussi. » Permettre aux meilleures joueuses de disputer des parties est urgent, ajoute-t-elle. L’un des constats du rapport est justement que l’absence d’une équipe et d’une ligue féminine professionnelles freine l’évolution du sport au Québec.

Nouveau palier chez les Carabins

La nouvelle ligue répond ainsi à un besoin décrit dans le rapport, soit celui d’avoir une équipe professionnelle au Québec, mais elle en crée un autre en éliminant des postes. Pour l’instant, la LPHF compte seulement six équipes. Avec 23 postes réguliers par équipe, les joueuses doivent donc faire partie des 138 meilleures hockeyeuses au monde pour être sélectionnées. Dans l’immédiat, plusieurs joueuses professionnelles perdent donc leurs places, car davantage d’équipes professionnelles existaient avant leur dissolution pour laisser place à la LPHF.

En effet, un autre constat du rapport est que des équipes manquent à tous les paliers, et pas seulement sur le plan professionnel.

Un autre projet que pilotent les deux femmes a récemment vu le jour et vient ajouter quelques postes aux joueuses de hockey dans la province. La deuxième équipe des Carabins, dévoilée il y a peu, regroupe actuellement 13 joueuses non recrutées par la « grande équipe », mais qui peuvent tout de même profiter de l’encadrement des Carabins. « Je ne sais pas combien de fois j’ai entendu parler de joueuses qui avaient arrêté de jouer et qui étudiaient à l’Université de Montréal, poursuit Mme Leclaire. Je me disais : ça n’a pas de bon sens, c’est trop jeune pour arrêter de jouer. »

Ces hockeyeuses peuvent être appelées à remplacer des joueuses blessées lors d’entraînements ou de matchs. Certaines pourraient même éventuellement rejoindre l’équipe principale de façon permanente en cas de départs.

 

Audrey-Anne Veillette, ancienne joueuse vedette des Carabins. Photo | Courtoisie | James Hajjar

 

Selon l’entraîneuse-chef, l’UdeM est la première à mettre en place un programme de ce genre pour les femmes. Elle déplore d’ailleurs que plusieurs équipes de seconde division universitaire existent uniquement chez les hommes. « On veut augmenter le bassin de joueuses de hockey, mais si en haut de la pyramide, on les perd à 19-20 ans, c’est vraiment trop jeune », regrette-t-elle.

La deuxième équipe permettra également de s’attaquer à une autre problématique mentionnée dans le rapport : le manque d’entraîneuses et des lacunes quant à leur professionnalisation. La hockeyeuse Kaleigh Quennec, qui a disputé sa dernière saison chez les Carabins l’an dernier, est désormais l’une des entraîneuses de la nouvelle équipe.

Ses espoirs de se tailler un poste au niveau professionnel en Amérique du Nord se sont évaporés au moment de la dissolution des anciennes ligues. Elle garde la forme en s’entraînant au CEPSUM et fait toujours partie de l’équipe nationale suisse, mais elle entrevoit possiblement une carrière d’entraîneuse dans le futur. « J’essaie d’accumuler le plus d’expérience possible et de développer mon propre style de coaching », explique-t-elle. Également professeure d’éducation physique et entraîneuse au sein d’autres équipes, elle est reconnaissante de l’opportunité que cette nouvelle équipe lui fournit.

Quelques pistes de solution

L’ajout d’équipes ne doit pas se faire seulement au sommet de la pyramide, avertissent le rapport et les intervenantes. Les deux dirigeantes des Carabins proposent d’ailleurs quelques pistes de solutions pour que le nombre d’inscriptions au hockey chez les Québécoises augmente. « Souvent, ce n’est pas le sport que ces jeunes femmes laissent, c’est l’environnement qu’elles laissent », précise Mme Sauvageau. Pour elle, créer des « zones de confort » dans lesquelles les jeunes femmes veulent faire du sport est primordial.

Mme Leclaire mentionne également l’importance du sentiment d’appartenance à un groupe, qui peut être difficile à ressentir en jouant avec les garçons. « Souvent, les filles dans certaines régions sont obligées de jouer encore avec les garçons à 14, 15, 16 ans, détaille-t-elle. C’est sûr qu’il n’y a pas le même sentiment socialement que dans une équipe de filles. »

La défenseure des Carabins, Kelly-Ann Nadeau, était parmi les « deux ou trois filles » de Mont-Laurier qui ont dû jouer avec les garçons jusqu’à la fin de l’adolescence. « Ça a pris un peu de temps avant que les garçons nous acceptent dans leur gang », explique l’étudiante du DESS en kinésiologie. Ceci ne l’a pas découragée pour autant, elle qui « travaille fort pour jouer professionnellement l’an prochain. »

Fines marges

Le cas de la hockeyeuse Audrey-Anne Veillette illustre les difficultés des joueuses qui veulent prolonger leur carrière après leur passage à l’université. La saison dernière, elle aurait difficilement pu faire mieux. Ses 26 buts en 22 matchs avec les Carabins lui ont permis de mettre la main sur à peu près tous les honneurs individuels existants. Elle a alors décidé de signer un contrat professionnel avec la Force de Montréal en mai 2023. Toutefois, un mois plus tard, la ligue dans laquelle évoluait cette équipe s’est dissoute. « Après l’annonce que nos contrats étaient annulés, on était vraiment dans le néant », explique-t-elle. Alors qu’elle gardait la forme, comble de malheur : elle s’est gravement blessée au genou le 24 juillet, lors d’un entraînement.

Au moment du repêchage inaugural de la LPHF, elle ne savait pas si elle serait sélectionnée, elle qui était vouée à demeurer sur la touche encore pendant quelques mois. Elle a finalement été choisie par Ottawa, à l’avant-dernier rang, et a été la seule joueuse d’une université canadienne sélectionnée. La plupart des hockeyeuses repêchées évoluaient dans une des ligues professionnelles dissoutes ou dans une université américaine l’an dernier. Toutes les intervenantes citées ont mentionné la nécessité éventuelle d’une ligue qui servirait de pont entre les niveaux universitaires et professionnel. « Je pense qu’à moyen terme, ça va prendre un second niveau, la marche est très, très haute », estime Isabelle Leclaire.

La blessure de Veillette l’a probablement pénalisée, mais le fait qu’une seule joueuse du circuit universitaire canadien ait été repêchée démontre à quel point la concurrence est serrée pour les postes professionnels.

Si elle laisse deviner être favorable à la nouvelle ligue, Audrey-Anne Veillette évoque tout de même les conséquences à court terme. « J’ai des amies qui se sont acheté une maison, il y en a qui ont des enfants, relate-t-elle. Je pense qu’on n’a pas assez parlé de ces filles-là, qui ont perdu leur emploi et qui vont arrêter le sport qu’elles ont fait durant toute leur vie. » Lorsque la meilleure buteuse du circuit universitaire canadien peine à se tailler un poste, le défi n’est que plus grand pour les autres.

Si le parcours d’Audrey-Anne Veillette ces derniers mois semble rocambolesque, celle-ci ne s’inquiète pas des détails qui entourent la nouvelle ligue. « Je veux juste jouer et avoir une équipe », avoue-t-elle. L’attente ne sera plus très longue.

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