Le film muet L’artiste – un candidat potentiel aux prochains Oscars – s’apprête à prendre d’assaut une grande partie des écrans québécois. Une première depuis des décennies pour un film sans paroles. Professeur au Département d’histoire de l’art et d’études cinématographiques à l’Université de Montréal, Germain Lacasse expose l’état actuel du cinéma muet.
Depuis sa soudaine disparition, le film muet n’est jamais revenu à la mode. Aucune vague populaire n’est venue l’actualiser et le sortir des reliques du passé. « Il y a un intérêt qui revient périodiquement chez certains cinéphiles, raconte Germain Lacasse. Des rétrospectives ont lieu dans des cinémas d’auteur, par exemple. Sinon, comme film muet récent, il y a eu Silent Movie à la fin des années 1980, avec Paul Newman. C’était vraiment plus un hommage aux codes esthétiques du film muet qu’une tentative de le renouveler.»
Au milieu des années 1920, l’industrie au complet du cinéma muet a dépéri au profit du cinéma parlant ; des réalisateurs et surtout des acteurs se sont retrouvés sans emploi. «Le meilleur exemple, c’est Buster Keaton, un acteur extrêmement populaire qui misait beaucoup sur l’humour burlesque et les péripéties, affirme ce spécialiste en cinéma des premiers temps. Il a sombré dans l’alcool, sans jamais faire le pas vers le cinéma parlant.» Une triste histoire qui a sans doute inspiré le personnage de Jean Dujardin dans L’artiste.
Mystérieusement, le cinéma sans paroles est resté populaire au Japon. L’art du bonimenteur – phraseur qui commente le film muet et lui ajoute une saveur locale – y serait même devenu art patrimonial officiel. « Encore aujourd’hui, un lot impressionnant de salles de répertoire diffusent des films muets, avance le professeur. Et, contrairement au Québec, les gens se déplacent pour aller les voir !»
Engouement certain
Pourtant, L’artiste pourrait bien faire courir les Québécois dans les salles de cinéma dès sa sortie le 9 décembre prochain. En France, l’oeuvre de Michel Hazanavicius a trôné au sommet du box-office, attirant près d’un demi-million de spectateurs à sa première semaine à l’affiche. Un engouement que Germain Lacasse s’explique bien: «Le cinéma muet est beaucoup plus inventif que le cinéma sonore, lance-t-il. Encore aujourd’hui, c’est intéressant d’aller voir un film muet pour apprendre comment les réalisateurs de l’époque ont développé les codes du cinéma et l’art du montage.»
Plus encore, le professeur croit que le cinéma des premiers temps a un lien direct avec notre époque technologique marquée par la multiplication des plateformes. «Alors que les réalisateurs de l’époque tentaient de créer un langage cinématographique dans un univers anarchique, sans règles, les créateurs de l’Internet expérimentent de nouveaux formats, de la websérie au court vidéo YouTube. Ce n’est pas toujours bon, admet-il en riant, mais c’est intéressant de voir comment tout cela va s’institutionnaliser.»
L’artiste, un hommage senti
Après la saga hilarante OSS 117, parodie absurde des James Bond, le tandem français Hazanavicius et Dujardin renoue avec un autre brillant hommage, cette fois-ci à l’industrie du cinéma muet des années 1920. Acteur déchu, laissé de côté par son producteur (John Goodman) à l’arrivée du cinéma parlant, George Valentin (Jean Dujardin) voit sa carrière dépérir au profit de celle de Peppy Miller (Bérénice Bejo), une jeune actrice éperdument amoureuse de lui.
Un peu banale, l’histoire est rapidement éclipsée par la performance habitée d’un Jean Dujardin expressif, qui joue à merveille les contrastes d’émotions. La réalisation habile de Michel Hazanavicius épate par ses plans complexes en noir et blanc, son montage elliptique et ses références historiques dosées qui rendent l’histoire crédible.
Loin de renouveler le cinéma muet, L’artiste constitue un exercice de style pertinent dans une société qui puise souvent dans le passé pour expliquer le présent. La révolution du cinéma parlant n’est pas si loin de l’effet de commotion engendré par l’arrivée du numérique.