Harmoniser l’enseignement des sciences infirmières

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Par Mélanie Le Berre
mercredi 6 avril 2022
Harmoniser l’enseignement des sciences infirmières
L’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec recommande que la formation universitaire soit la seule menant à la certification. Photo : unsplash.com, National Cancer Institute
L’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec recommande que la formation universitaire soit la seule menant à la certification. Photo : unsplash.com, National Cancer Institute
Contrairement aux autres provinces canadiennes, le Québec n’exige pas de diplôme universitaire pour exercer la profession infirmière. Néanmoins, le débat autour des normes de la formation initiale questionne cet état de fait depuis plusieurs décennies. À l’automne dernier, les conversations ont repris de plus belle et la transition vers une formation universitaire obligatoire pourrait cette fois-ci se concrétiser.
« Le but n’est pas d’abolir la technique, mais de s’assurer que tout le monde se rende au baccalauréat pour aller développer davantage tout ce qui est raisonnement et jugement clinique, pensée critique. »
Jolianne Bolduc, infirmière clinicienne et candidate au doctorat à l’École de santé publique de l’UdeM

Plusieurs parcours permettent d’exercer au Québec en tant qu’infirmier ou infirmière, rappelle d’entrée de jeu la professeure agré­gée et vice-doyenne à la Faculté des sciences infirmières de l’UdeM, Marjolaine Héon. Elle liste notamment la formation professionnelle (DEP) pour les infirmier·ère·s auxiliaires, la for­mation technique (DEC) pour les infirmier·ère·s technicien·ne·s, le baccalauréat pour les infir­mier·ère·s clinicien·ne·s et la maîtrise ou le doc­torat pour les infirmier·ère·s spécialisé·e·s ou les chercheur·se·s.

Pour devenir infirmier·ère clinicien·ne, la pro­fesseure distingue deux parcours, tous deux d’une durée de cinq ans. « Vous pouvez suivre une formation collégiale, avec une technique de trois ans en soins infirmiers et passer votre examen de l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec puis faire deux années de baccalau­réat, ou vous pouvez compléter une formation collégiale plus générale puis compléter trois années de baccalauréat en sciences infirmières, et seulement ensuite, passer votre examen de l’Ordre », détaille-t-elle.

Une distinction importante

Si les infirmier·ère·s technicien·ne·s qui ont suivi une formation collégiale et les infir­mier·ère·s clinicien·ne·s qui ont effectué une formation universitaire sont régies par la même loi, passent le même examen de l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec (OIIQ) et exercent les mêmes 17 activités qui leur sont réservées, leur pratique respective se distingue cependant l’une de l’autre. La dif­férence, au-delà de la nomenclature, se situe principalement du côté de l’étendue de la pratique.

« Au collégial, ce sont des soins infirmiers, alors qu’au baccalauréat, ce sont des sciences infir­mières, précise Mme Héon. Les infirmières cli­niciennes sont donc appelées à coordonner le travail d’équipe, à agir dans des situations plus complexes avec un rôle de formation et d’éva­luation de la qualité des soins et de collaboration à la recherche. » C’est d’ailleurs ce qui explique que celles-ci sont en mesure d’effec­tuer des prescriptions dans certains contextes et qu’elles se retrouvent dans des positions qui exigent davantage d’autonomie, comme les soins de première ligne.

Vers une formation universitaire obligatoire

En 2021, l’OIIQ a tenu ses premiers états géné­raux sur la profession d’infirmier·ère au Québec depuis 1996. Dans leur rapport publié le 16 sep­tembre dernier, les commissaires formulent 31 recommandations, parmi lesquelles figure celle de faire du baccalauréat la norme pour avoir accès au permis de pratique dans toute la province.

« Le rapport des états généraux s’est posi­tionné en faveur du maintien des deux voies d’accès, mais demande que le baccalauréat devienne incontournable et que le permis ne soit octroyé qu’après la formation uni­versitaire, précise Mme Héon. La proposi­tion comprendrait une sorte de « résidence » à la fin des trois années de collégial, soit un titre temporaire qui permettrait de combiner travail et études en poursuivant au niveau universitaire. »

La candidate au doctorat à l’École de santé publique de l’UdeM et infirmière clinicienne Jolianne Bolduc abonde dans le même sens. « Le but n’est pas d’abolir la technique, mais de s’assurer que tout le monde se rende au bacca­lauréat pour aller développer davantage tout ce qui est raisonnement et jugement clinique, pensée critique, et arrive à voir les patients bien au-delà du soin effectué », souligne-t-elle.

Au cours de ses études de deuxième et troi­sième cycles, l’étudiante s’est penchée sur le débat autour de la formation au métier d’infirmier·ère. Elle voit dans cette nouvelle proposition des commissaires une évolution des discours. « Avant, on le formulait beaucoup plus « soit l’un ou l’autre », et maintenant, on se rend compte que les deux sont complémentaires », observe-t-elle.

Une transition amorcée depuis longtemps

Jolianne Bolduc, infirmière clinicienne et candidate au doctorat à l’École de santé publique. Photo : Courtoisie Jolianne Bolduc

D’abord proposée dès les années 1990 par le gouvernement du Canada, la transition vers une formation universitaire obligatoire a depuis été adoptée partout au pays, sauf au Québec. « C’est une décision qui relève des provinces, et le Québec a décidé […] de mettre en place une passerelle DEC-BAC, explique Jolianne Bolduc. Cela permet de faire son baccalauréat en deux ans seulement si on a complété une technique en soins infirmiers. L’idée était qu’avec cette offre-là, les gens feraient automatiquement la technique puis le baccalauréat, mais ce n’est pas ce qui s’est produit. » En effet, malgré une hausse constante de l’effectif infirmier titulaire d’un baccalauréat depuis des dizaines d’années, la proportion de celui-ci ne franchissait toujours pas la barre des 50 % l’année dernière.

La doctorante constate ainsi que peu de choses ont changé dans cette grande réflexion pan­québécoise. « Les positions se sont « adoucies », rapporte-t-elle. Il y a une réflexion supplémen­taire sur la profession en général, une ouverture à la discussion, mais les positions sur le niveau de formation à avoir sont restées les mêmes» Ainsi, la transition annoncée fait toujours l’ob­jet de débats, trente ans après la mise en place des premières réformes.

Quelques inquiétudes persistent

Jolianne Bolduc constate que les principales inquiétudes sur la formation universitaire obli­gatoire sont liées à la pénurie de personnel. « La pénurie d’infirmières se ressent partout dans le monde, et pourtant, plusieurs autres pays ont augmenté le niveau de formation néces­saire dans les vingt dernières années, souligne-t-elle. Plutôt que d’aggraver la pénurie, c’est venu, au contraire, attirer un plus grand nombre de personnes. »

La doctorante mentionne aussi des enjeux bud­gétaires. « Les gestionnaires peuvent voir les infirmières comme une dépense, parce qu’en­gager des infirmières cliniciennes coûte plus cher [que des infirmier·ère·s technicien·ne·s] », précise-t-elle. De leur côté, les regroupements syndicaux accueillent eux aussi plutôt tièdement la proposition. « Ce sont beaucoup les techni­ciennes qui composent les syndicats, affirme Jolianne Bolduc. L’idée ne serait pas tant dans leur intérêt. »

Les avantages de la transition

Rehausser la formation vers le baccalauréat obligatoire demeure néanmoins un cheval de bataille pour plusieurs parties prenantes qui y voient de nombreux avantages. « Quand on aug­mente le niveau de formation des infirmières, on améliore la sécurité des patients, assure Jolianne Bolduc. Malgré les augmentations de coûts à prévoir à court terme, comme l’augmentation du salaire des infirmières, on réduit les coûts à long terme parce qu’on a moins d’événements indésirables et que les durées de séjour sont plus courtes. »

Finalement, cette transition pourrait également changer les perceptions du public. « Augmenter le niveau de formation pourrait venir « redorer » la profession d’infirmière », propose-t-elle. De là à favoriser de meilleures conditions de travail en offrant un levier lors des négociations, elle demeure dubitative. « Je ne suis pas certaine que le lien soit direct, ça demeure politique », avance-t-elle.