Les handicaps invisibles sont nombreux et ne se ressemblent pas. Anxiété, problèmes moteurs, troubles de l’attention, troubles auditifs, chaque situation nécessite une prise en charge particulière. Pour faciliter leur accompagnement, les membres de la communauté étudiante concernés sont les premiers à s’engager.
Le Regroupement des étudiants et des étudiantes en situation d’handicap (sic) invisible de l’UdeM (RÉSHI), lancé en novembre 2021, se distingue des organismes d’aide, en accordant aux handicaps invisibles une place centrale. Plusieurs objectifs motivent ses fondateurs : « On veut créer un safe space [espace sûr] pour les étudiants touchés, où ils pourront parler à d’autres personnes qui vivent la même situation qu’eux », explique son cofondateur et étudiant en deuxième année au baccalauréat en cinéma, Charles Parent-Richard.
Selon la fondatrice du RÉSHI et étudiante au baccalauréat en science politique et philosophie, Mathild Ramirez, cet échange pourrait être simplifié par la construction d’un discours propre au handicap invisible. « Souvent, les personnes touchées ne savent pas comment exprimer leurs expériences, souligne-t-elle. On veut créer une terminologie pour faciliter ce partage. »
Pour garantir ces objectifs, les membres du Regroupement cherchent à privilégier la fondation de bases solides. « Pour l’instant, nous sommes encore au premier stade de communication », précise Charles Parent-Richard. « Nous voulons entendre la voix des étudiants pour savoir quel projet est prioritaire », ajoute Mathild Ramirez. Le dialogue est déjà bien amorcé, selon le programme de l’organisation, qui proposait une première activité de groupe le vendredi 18 février dernier, avant que celle-ci ne soit reportée. « C’est une sorte de speed dating prenant en compte le handicap, pour trouver un partenaire d’études, pour se créer un petit réseau », détaille Charles Parent-Richard.
Les ambitions du RÉSHI dépassent également les limites de l’organisation. « Nous cherchons aussi à sensibiliser les gens au sujet des handicaps invisibles, déclare Mathild Ramirez. Les personnes qui ne sont pas en situation de handicap, mais aussi celles qui le sont et qui ne trouvent pas les outils nécessaires pour être aidées. »
Un besoin de sensibilisation que reconnaît l’étudiant en première année à la Faculté de médecine Mohamed Auda, touché par un sévère trouble auditif. « Sensibiliser les étudiants et les professeurs aux handicaps auditifs, ce n’est pas assez récurrent, estime-t-il. Chaque faculté devrait prendre de 10 à 15 minutes pour expliquer notre situation. » Si la création d’une association permet l’ouverture d’un dialogue entre les étudiant·e·s, leur accompagnement implique aussi et avant tout l’administration de l’UdeM, comme en témoignent les principaux concernés.
Une machine bien huilée ?
Les organismes d’aide de l’UdeM, comme le service de Soutien aux étudiants en situation de handicap (SESH), proposent diverses solutions d’accompagnement. « Le SESH s’occupe du tiers temps [NDLR : Temps supplémentaire accordé aux personnes en situation de handicap lors d’une évaluation] et m’a aidé à trouver une assistance pour l’écriture, explique Mohamed Auda. La Faculté de médecine, quant à elle, m’a permis d’étudier dans des groupes de travail réduits où l’on est autorisé à enlever les masques, ce qui m’aide à mieux communiquer. » À chaque organisme son propre rôle. Un mélange qui semble faire ses preuves.
Charles Parent-Richard, diagnostiqué depuis de nombreuses années comme étant dyspraxique, un trouble du développement de la coordination, le confirme. « Pour ce qui est de l’Université, j’ai beaucoup d’accommodements, indique-t-il. Pour moi, tout se passe bien, mais c’est grâce aux nombreux rapports de médecins qui prouvent ma dyspraxie. »
Quelques nuances apparaissent déjà dans le discours du cofondateur du RÉSHI, car malgré le besoin de contextualisation scolaire, la situation des étudiant·e·s concerné·e·s dépend aussi et avant tout, d’après lui, de la reconnaissance qui leur est accordée en dehors du cadre universitaire.
La nécessité d’un diagnostic
2744 C’est le nombre d’étudiant·e·s en situation de handicap à l’UdeM en 2021. Depuis 2011, ce nombre a presque sextuplé : seulement 406 d’entre eux et elles étaient reconnu·e·s comme étant en situation de handicap. Source : Rapports annuels de l’Association québécoise interuniversitaire des conseillers aux étudiants en situation de handicap |
Ce dernier point rappelle la spécificité des handicaps invisibles. « Pour faire partie du SESH, il faut un papier du médecin, mais si personne ne peut prouver ta situation, c’est plus compliqué », souligne Charles Parent-Richard. En effet, c’est sur la base des diagnostics établis en dehors de l’Université que le SESH se doit d’accompagner les étudiant·e·s en situation de handicap. « La prise en charge est obligatoire du fait de la Loi pour l’exercice des droits des personnes handicapées, explique la professeure titulaire au Département de psychopédagogie et d’andragogie Nathalie Trépanier. Quand une personne a un diagnostic, elle doit être accommodée dans les institutions publiques. »
Mais qu’en est-il en l’absence de diagnostic ? Certains cas de handicaps invisibles restent peu connus. Leur caractère imperceptible ne facilite pas leur reconnaissance, selon Mathild Ramirez. C’est le cas du lupus, une maladie auto-immune dont elle est atteinte et qui n’a que tardivement été reconnue. « Jusqu’à il y a encore peu de temps, je n’étais même pas reconnue comme personne en situation de handicap, confie l’étudiante. J’ai toujours dû pousser pour avoir des accommodements. Nous sommes beaucoup à avoir vécu une situation où nous devons nous justifier. »
De la responsabilité étudiante à la méconnaissance professorale
La fondatrice du RÉSHI souligne un point essentiel pour la bonne compréhension de l’accompagnement des étudiant·e·s en situation de handicap invisible : ils et elles sont à la base de la chaîne décisionnelle. Or, certains membres du corps professoral sont peu renseignés sur cette réalité, selon Mme Trépanier. « Tous les professeurs ne sont pas sensibilisés, déplore-t-elle. Il y en a qui sont à des années-lumière de ces préoccupations-là. »
Mathild Ramirez souligne le problème avec plus de sévérité. « Les professeurs me disent : « Nous ne pouvons plus savoir ; il y a tellement de situations, c’est trop compliqué », rapporte-t-elle. Nous faire dire que la situation est trop compliquée par une personne valide, c’est dur à entendre. »
Pour compenser ce manque de reconnaissance, les étudiant·e·s souffrant d’un handicap invisible disent devoir redoubler d’efforts. « Comme étudiant, quand tu sais que tu as des besoins d’adaptation, il faut chercher les services », déclare Mme Trépanier. Mohamed Auda confirme lui aussi ce risque d’être oublié des services de soutien. « On pourrait passer inaperçu si on ne contactait pas les services adéquats, estime-t-il. Il faut faire le premier pas. »
« Parfois, avec tout ce que quelqu’un vit, les cours, l’acceptation de soi, on peut se sentir débordé et la date limite pour faire une demande d’accommodement peut arriver rapidement, souligne Charles Parent-Richard. C’est beaucoup de poids sur les épaules. Surtout si tu viens d’être diagnostiqué. »
Ce que la COVID-19 a changé
La situation pandémique complique encore davantage la prise en compte des handicaps invisibles. « Ça a changé énormément, affirme Mohamed Auda. Avec le masque, tout est plus dur. J’arrive chez moi plus épuisé, je n’ai plus le goût d’étudier. Je veux juste dormir et relâcher. »
Mathild Ramirez dresse un bilan similaire. « Tous les accommodements avec le distanciel qui ne fonctionnent pas pour les étudiants valides fonctionnent encore moins pour une personne qui a un handicap », constate-t-elle. Selon elle, la situation pourrait pourtant ouvrir de nouvelles voies pour les étudiant·e·s concerné·e·s. « Il y a une chose intéressante, observe-t-elle. L’Université a annoncé vouloir étendre le distanciel pour les personnes en situation de handicap. » Mme Trépanier voit ce changement d’un bon oeil. « Les étudiants sont plus directement mis en relation avec leurs professeurs sur des plateformes comme StudiUM », affirme-t-elle. Reste à savoir ce qu’il restera de ces initiatives après la pandémie.