Sur une scène, deux rappeurs s’insultent, se disent leurs quatre vérités en plein visage, sans musique de fond. Le but ? Démolir son adversaire à coups de rimes mordantes. La foule, attentive, s’esclaffe ou laisse tomber un silence glacial à faire rougir de honte n’importe quel participant néophyte. Depuis deux ans, ces joutes d’injures retransmises sur le Web rassemblent paradoxalement le milieu du hip-hop québécois, qui n’a jamais été aussi uni.
À l’image d’une ligue populaire de combats extrêmes comme la Ultimate Fighting Championship (UFC), les
Word Up Battles (WUB) — ligue pionnière dans le domaine du battle rap québécois — ont réussi tout un exploit : combiner, d’un côté, la violence incisive, acerbe, des affrontements et, de l’autre, le respect et la considération pour l’adversaire. «Avant d’être une ligue d’insultes, les WUB, c’est un mouvement rassembleur, un mouvement de paix, lance le fondateur de cette ligue, Rémi Ste-Marie, alias. Avant chaque événement, on encourage les participants à se serrer la main et on leur fait clairement savoir qu’on ne veut pas de violence physique avant, pendant ou après l’événement. »
Débordements mineurs
Outre un entartage sauvage qu’un spectateur a infligé à Jeune Chilly Chill il y a un peu plus d’un an, les WUB se sont toujours déroulés dans l’harmonie. Leurs récents succès ont amené plusieurs jeunes entrepreneurs à créer leur propre ligue mineure hors de la métropole. Du lot, Plan B3, QlassiC Clash et 07 Battles sont devenus des incontournables pour le battle rap en région.
« Le mouvement a rallumé une solidarité chez les rappeurs de 16 à 25 ans , avance FiligraNn. Maintenant, il y a de plus en plus de jeunes qui s’unissent, qui se rassemblent pour voir des battles un peu partout au Québec ou qui se rencontrent à la fin des événements pour rapper ensemble au coin d’une rue.»Ces ligues secondaires créées en région entraînent parfois des dérapages. Mais les organisateurs tiennent mordicus à la notion de non-censure des battles — vitale à la création, selon FiligraNn. «Il faut que les participants utilisent leur jugement, c’est tout ! Les jeunes doivent comprendre que les codes sociaux existent encore quand ils se mettent à rapper, qu’il y a encore des limites qu’on ne doit pas franchir », dit-il.
La réunion des rivaux
Pour la huitième édition des WUB, qui aura lieu le 21 octobre au Club Soda, FiligraNn voit grand: un programme de cinq duels dans une salle beaucoup plus grande que d’habitude. «On va réussir à remplir le Club Soda avec du hip-hop québécois, lance-t-il avec enthousiasme. Wow! Juste ça, c’est un exploit.»
En duel contre St-Saoul pendant l’événement, le rappeur et membre d’Alaclair Ensemble, Ogden, compte bien traiter son adversaire avec respect pour sa première participation aux WUB. «J’affronte St-Saoul dans l’arène des gladiateurs, mais, dans le fond, je l’aime bien, rigole-t-il. Je vais m’attaquer au personnage, et non à l’être humain. C’est un peu comme la WWF, dans le sens qu’on est là pour amuser le public, mais pas dans le sens que les résultats sont prévus [rires]»
En prime pour la huitième édition, une première partie musicale sera assurée par le duo chouchou des WUB, Jam & P-Dox, le champion en règle de la ligue, Obia Le Chef, et le dernier gagnant de l’album hip-hop de l’année au Gala de l’ADISQ, Manu Militari, qui participera pour la première fois à un événement de la sorte.
Bataille de jeunes
FiligraNn est particulièrement fier qu’une grosse pointure comme Manu Militari se produise dans le cadre de son événement, même si le rappeur populaire ne se prêtera pas au jeu des battles.
«La plupart du temps, les rappeurs québécois notoires comme Manu ou SP n’ont pas d’expérience dans le domaine du battle a capella, admet l’organisateur. Ils n’ont pas grandi avec cette culture-là. Ça parle plus aux jeunes qui ont une rage intérieure, une fébrilité presque adolescente.» Une situation que Koriass s’explique mal, lui qui, malgré une renommée bien acquise dans le hip-hop québécois, s’est lancé tête première dans les WUB dès la première édition, en 2009. «Je ne comprends pas pourquoi il n’y a pas plus de rappeurs établis qui s’aventurent dans les battles. Ce n’est pas un si grand risque que ça, lance le rappeur natif de St-Eustache. Et même si tu te plantes un peu, tes fans ne vont pas te renier à jamais et arrêter d’écouter tes chansons !»
Extraits de battle rap
Tu joues au thug qui est trop hot, mais on l’sait qu’t’as une petite queue. Si t’es une star au word up, t’es justin Bieber.
– Snail Kid à Joe RCA
Gros, t’as même pas une moustache, t’as une roux-stache.
– Egypto à Jeune Chilly Chill