Culture

La scène musicale balinaise mise à l’honneur (vidéo)

« J’ ai été frappé par le dynamisme et la puissance des percussions, témoigne l’étudiant à la maîtrise en musicologie Laurent Bellemare. Il y a un côté percutant et flamboyant ainsi qu’une rapidité dans les pièces balinaises traditionnelles, qui est venue me chercher sur le plan émotif. »

En 2014, il assiste pour la première fois à un concert de l’ensemble de musique balinaise en résidence à l’Université, baptisé Giri Kedaton (Montagne royale en balinais, en référence au mont Royal). « Je n’en revenais pas que cette musique existe, et encore moins à Montréal », poursuit l’étudiant, qui travaille à faire la promotion de la culture balinaise sur la scène montréalaise à travers ses recherches.

L’île de Java est l’épicentre supposé du gamelan. Les métallophones, les gongs et les tambours traditionnels de l’instrument sont immortalisés dans des sculptures et des gravures dès le IXe siècle. Le gamelan se compose lui-même de plusieurs instruments posés sur des châssis de bois ornés de motifs rouge et or : des gongs suspendus, des tambours « kendhang » et des gongs produisant des sonorités différentes.

« Une façon plus intuitive d’apprendre la musique »

« C’est une musique qui s’apprend par traditionorale », explique le superviseur de l’atelier de gamelan à l’UdeM, Alexandre David. Initié à la musique rock et au métal, il découvre le gamelan en 2008, lorsqu’il s’inscrit à la Faculté de musique. « Ça m’a beaucoup interpellé, c’est une sonorité avec laquelle je n’étais pas familier, explique-t-il. Il y avait quelque chose de fascinant, car c’était une façon plus intuitive d’apprendre la musique. » Après un séjour de deux mois à Bali, il rejoint le groupe Giri Kedaton. Bien que les groupes de gamelan se soient multipliés depuis sa création, celui-ci reste le seul à posséder un gamelan gong kebyar à cinq notes au Canada. Le groupe, composé d’une vingtaine de musicien·ne·s, associe sa musique à des prestations de danseuses et danseurs balinais, comme Ni Komang Swijani et Annick Brault.

Comme lui, de nombreux étudiant·e·s de l’atelier se rendent à l’Institut Seni Indonesia Denpasar dans le cadre de leur apprentissage de la musique balinaise. En 2016, Laurent Bellemare et l’étudiante à la maîtrise en musicologie Sarah Lecompte-Bergeron font cette démarche et rencontrent l’étudiant balinais Arya Deva Seryanegara, qui joue du gamelan.

Celui-ci, encouragé par ses amis montréalais, s’inscrit ensuite à la maîtrise en musique, option composition et création sonore à l’UdeM et rejoint l’ensemble Giri Kedaton en 2019. « En arrivant à Montréal après avoir débarqué de l’avion, je suis allé directement au concert de Giri Kedaton », se souvient-il. Depuis la session dernière, il enseigne à l’atelier de gamelan et transmet son savoir avec humilité. « Partager la pratique que j’ai construite à Bali est une très bonne expérience, déclare-t-il. C’est quelque chose de l’ordre du don et du recevoir. »

Crédit photo : Mathis Harpham

Un gamelan balinais à l’UdeM

À l’occasion de l’exposition universelle de 1986 à Vancouver, en Colombie-Britannique, la scène culturelle indonésienne s’exporte pour la première fois au Canada. L’année suivante, l’UdeM reçoit deux gamelans balinais de la part du gouvernement indonésien. Le professeur et compositeur José Evangelista crée alors le premier atelier de gamelan de l’Université, donnant accès à une musique jusqu’alors peu représentée.

Des débuts de l’atelier en 1987 à la création de Giri Kedaton en 1994, des professeurs balinais viennent enseigner le gamelan angklung et gong kebyar à la Faculté de musique.

Parmi les participant·e·s à l’atelier, amateur·rices et musicien·e·s confirmé·e·s se côtoient. « Un musicien n’est pas plus intelligent qu’un autre, explique Arya Deva Seryanegara. On doit tous être unis au moment de jouer. »

Formé dès l’âge de cinq ans au tambour indonésien le kendang, Arya Deva Seryanegara diversifie ensuite sa pratique musicale. Pour son examen final à l’Institut Seni Indonesia Denpasar, il compose un mixte de gamelan traditionnel et de musique électronique. « Mes professeurs n’étaient pas très enthousiastes, car ce n’était pas commun », se souvient-il. Mais transformer les pièces traditionnelles doit se faire selon une certaine méthodologie.

D’après lui, le gamelan doit toujours évoluer. « Mais pour faire quelque chose de nouveau, on doit aussi reconnaître la tradition, poursuit-il. La discipline musicale du répertoire traditionnel doit être apprise avant de le faire évoluer. »

Sous la direction artistique de Pierre Paré-Blais, Giri Kedaton explore aussi de nouveaux registres issus de la création.

Une ouverture de la scène artistique indonésienne

Le 14 décembre 2021, l’UNESCO inscrit le gamelan au Patrimoine immatériel culturel de l’humanité en même temps que la rumba congolaise, un moyen d’établir un peu plus cet art sur la scène culturelle internationale.
Le rôle de Giri Kedaton dans la diffusion de la culture indonésienne au Canada est indéniable, selon Alexandre David. « Il a beaucoup contribué au rayonnement de la culture indonésienne », reconnaît-il. Depuis sa création, l’ensemble produit des concerts partout au Québec et au Canada, comme au festival de musique de Lanaudière. Le concert annuel de l’atelier, auquel l’ambassade d’Indonésie assiste, s’associe également à des danseur·se·s balinais·e·s. « On conserve des liens avec l’ambassade d’Indonésie, souligne Alexandre David. Elle est très heureuse de notre travail et de ce qu’on fait avec la musique de leur culture. »

Dès les années 1950, la culture indonésienne se diffuse à l’international. Un imaginaire de carte postale exotique se dessine autour de l’Indonésie, exposé aux yeux des Occidentaux lors d’expositions coloniales et universelles. « Cela faisait travailler l’imaginaire et la fascination pour cette région et sa culture », explique Laurent Bellemare.

Crédit photo : Mathis Harpham

Entre tradition et interprétation moderne

Les échanges culturels entre les universités et l’Indonésie vont au-delà de la musique. Pour Arya Deva Seryanegara, le gamelan est doté d’une portée universelle : « C’est aussi sur la façon dont on interagit. »

Laurent Bellemare ajoute : « La pratique devient une fin en soi et non plus un rite de passage académique ou un outil d’apprentissage. » Si la pratique du gamelan évolue, la question du respect des pièces traditionnelles se pose. « Avec les débats actuels, des personnes qui ne connaissent pas le gamelan pourraient voir ça comme de l’appropriation culturelle, poursuit l’étudiant en musicologie. La question est de savoir : « Quelle est la bonne chose à faire pour un groupe occidental : reproduire à la lettre ce qu’un groupe indonésien ferait ou s’adapter au contexte ? » »

Selon lui, le gamelan est une musique vivante qui se réactualise continuellement. Il soutient également que sa présence outre-mer bénéficie à la diaspora indonésienne. Des opportunités économiques en découlent : certain·e·s musicien·ne·s ont ainsi développé des carrières à l’international, tandis que des réseaux d’enseignement ont été créés en Indonésie. Une façon d’établir un peu plus la place du gamelan sur la scène culturelle montréalaise et internationale.

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