Volume 18

Gabor Szilasi, témoignages du quotidien

Le photographe Gabor Szilasi pose un oeil emprunt d’humanité sur le Québec depuis plus de 50 ans. À l’heure de son exposition L’éloquence du quotidien au Musée McCord, voici un portrait en noir sur blanc.

C’est dans sa maison que Gabor Szilasi nous accueille. Le photographe de 82 ans plonge doucement dans le passé en racontant son départ de Hongrie. «Quand j’étudiais en médecine à Budapest, j’ai tenté une première fuite en 1949, qui s’est soldée par une capture à la frontière tchécoslovaque ainsi qu’à un emprisonnement de cinq mois.» Forcé de rester en Hongrie, il travaille sur des chantiers, notamment celui du métro de la capitale. En 1951, il désire devenir photographe et se procure son premier appareil, un Zorkij. Une copie russe du Leica IIIF, l’un des seuls appareils disponibles derrière le rideau de fer avec ceux produits en Allemagne de l’Est. Le jeune homme décide d’en faire son métier, mais sa demande auprès du syndicat des photographes lui est refusée au vu de son passé d’«ennemi de l’État». Statut qu’il doit à sa tentative de « trahison » envers le régime communiste.

C’est seulement en 1956, après la révolution avortée, qu’il parvient à fuir la dictature et se réfugie à Vienne, en Autriche. Il effectue deux demandes de visa, l’un pour la Suède et l’autre – celui qui arriva le premier – pour le Canada.

L’exil

En 1959, Gabor débarque en bateau à Halifax, en Nouvelle-Écosse, avec son père. Une tuberculose lui est immédiatement diagnostiquée, ce qui lui vaut un passage par la case sanatorium. Durant son séjour à l’hôpital, il apprend le français et réussit à se faire transférer à Québec pour retrouver son père.

Une fois rétabli, il rentre au service de cinéphotographie à l’Office du film du Québec. C’est au sein de cet établissement que commence son aventure canadienne.

On lui confie des reportages sur les activités du gouvernement. Pendant 10 ans, ce travail lui permettra de capturer le Québec et sa population à travers son objectif. Quand on lui demande de tisser le fil d’un souvenir lié à cette activité, il décrit en souriant l’un de ses premiers reportages. Envoyé à la foire agricole dans les Cantons de l’Est, il doit photographier les bêtes exposées. Ne sachant sous quel angle rendre hommage aux fiers bovins, il décide d’effectuer une série de photos de passeport de s animaux . L’humour, dit-il, est une des passions qui le pousse à continuer la photographie.

Il sera aussi chargé de couvrir l’Exposition universelle de Montréal ainsi que le Festival Western de Saint-Tite : un milieu très dur, violent. Un de ses tirages immortalise d’ailleurs une rixe entre deux spectateurs.

Le plaisir des rencontres

C’est en 1970 qu’il tente son premier essai photographique personnel. Avec l’aide d’une bourse du Conseil des Arts du Canada, il voyage dans Charlevoix. Lors d’un deuxième projet, en 1973, il photographie ce couple [voir photo ci-dessous] devant leur voiture. Durant un arrêt en Beauce, il observe ce type qui, toutes les cinq minutes, sort du restaurant astiquer avec soin sa nouvelle auto. L’envie le saisit de s’approcher d’eux. « Je considère maintenant cette prise de vue comme l’une de mes plus belles expériences photographiques. » <

De belles expériences, l’amour de la rencontre, des gens : ce sont sûrement les éléments les plus intenses de ses photos. Quand la discussion dérive sur la beauté, il parle de cet autre cliché d’un motocycliste en Hongrie [voir ci-dessus]. La photo, qu’il considérait d’abord comme ratée, prend peu à peu sous ses yeux les traits d’un instant réussi. Ses défauts, comme le cadrage incertain, en font une de ses plus belles prises.

Humanisme en noir et blanc

Dans un registre moins bucolique, mais tout aussi engagé dans sa manière de capter l’humanité, Gabor Szilasi a effectué un long travail avec Les Impatients, une association qui aide les personnes atteintes de problèmes mentaux à travers l’expression artistique.

Ce qui frappe dans cette série, ainsi que dans presque la totalité de son oeuvre, c’est l’utilisation d’un puissant noir et blanc. Il explique qu’il réserve la couleur pour seulement deux catégories de travaux : les intérieurs et les enseignes commerciales. « Je considère la couleur importante dans l’intimité d’un foyer, elle souligne les goûts personnels ainsi qu’une situation sociale.» Pour les enseignes lumineuses, c’est toute une autre histoire. Il veut saisir un instant bien particulier, ce moment magique entre la lumière du jour et la profondeur de la nuit. Il cherche à montrer le bâtiment et à souligner comment l’enseigne s’y intègre. Il ne photographie par contre aucune enseigne commerciale standardisée, seulement des oeuvres réalisées pour le commerçant et construites à partir d’un dessin original.

Trouvant certaines de ses photos très cinématographiques, nous abordons ses influences. «De Sica, Visconti et le neoralismo sont des sources d’inspirations majeures!», s’exclame-t-il. Gabor Szilasi se rappelle même son premier film québécois : Les raquetteurs de Gilles Groulx.

Au sujet du vieux débat argentique/numérique, sa réponse très poétique ne tranche pas en faveur de l’une ou l’autre des écoles. Il souligne qu’il existe des négatifs ayant plus de 150 ans, mais qu’on ne connaît pas la résistance des CD. «Je n’ai rien contre le numérique, mais si je veux que le document persiste dans le temps, je travaille en argentique!»

Le photographe aura attendu 20 ans avant de retourner dans son pays. Sa première exposition à Budapest a eu lieu il y a cinq ans. «L’exil ne me pèse pas, je n’ai jamais eu le mal du pays. Je n’ai jamais arrêté de travailler au Québec, ça m’a toujours aidé.»

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