Front commun à bâbord

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Par Charles Lecavalier
mardi 9 novembre 2010
Front commun à bâbord

En réponse à un discours de droite de plus en plus présent sur la place publique, un ensemble
de syndicats professionnels et de fédérations étudiantes fondent l’Alliance sociale. Au même
moment, Line Beauchamp, ministre de l’Éducation, du Loisir et du Sport, annonce la tenue
d’une deuxième rencontre des partenaires en éducation qui aura lieu à Québec le 6 décembre
sur le thème de l’avenir des universités. L’enjeu de cette bataille entre la gauche et la droite :
le financement des universités québécoises.

L’Alliance sociale, un collectif
formé entre autres
de la CSN, la FTQ, la
CSQ, la FEUQ et la FECQ, s’inquiète
de la montée de la droite au
Québec, citant en exemple la formation
du Réseau Liberté-Québec
et l’hypothétique mouvement politique
dirigé par François Legault.

Elle dit s’alarmer « d’assister,
depuis plusieurs années au
Québec, à l’expression d’une pensée
dominante qui a pour fétiche
le désengagement de l’État, la privatisation
des services publics, le
laisser-faire économique et
l’idéologie du marché-roi, et qui
a pris de l’ampleur à la faveur de
la dernière crise financière et
économique».

Le collectif de gauche se positionne
contre la privatisation et la tarification
des services publics, sur la base
du principe d’utilisateur-payeur.
Dans la première déclaration commune
de l’Alliance, Un autre
Québec est possible!, on y affirme
que cette orientation est lourde de
conséquences, «puisqu’elle engendrerait
davantage de privations
pour les gens moins fortunés,
affectant ainsi leurs droits sociaux
et économiques fondamentaux».

Universités :
champs de bataille

Le 7 novembre dernier, plusieurs
membres du collectif étaient présents
au parc Lafontaine lors du
Rendez-vous de l’éducation. Le but
de cette activité était de lancer un
message clair à la ministre de l’Éducation
: «Il faut cesser la hausse
des droits de scolarité.»

Selon Louis-Philippe Savoie, président
de la FEUQ, «les problèmes
auxquels font face les universités
et les étudiants sont éminemment
complexes. La hausse des droits de
scolarité ne fera qu’aggraver la
situation financière précaire des
étudiants et de leur famille.» Une
position qui n’est pas très étonnante.
«Ce sont nos membres qui décident
de notre position, et le gel des
droits de scolarité est encore très
populaire dans notre base», soutient
le président de la FEUQ.

Il est soutenu par les trois principaux
syndicats du Québec. Leur
cheval de bataille : l’accessibilité
aux études postsecondaires, qui
doit être préservée à tout prix.
Michel Arsenault, le président de la
FTQ, soutient la FEUQ en attaquant
le gouvernement Charest : «À la
proposition du budget Bachand
de continuer la hausse des droits
de scolarité après 2012, nous
répondons, non. C’est un autre
exemple des mesures contenues
dans ce budget qui constituent
une attaque contre la classe
moyenne et la justice sociale dans
notre société.»

Michel Arsenault se dit aussi préoccupé
par le fait que de moins en
moins de familles de la classe
moyenne accèdent au programme
d’Aide financière aux études (AFE).

Dans une entrevue accordée au
Quartier Libre le 31 mars 2010,
l’ancien secrétaire général de la
FAÉCUM Nicolas Descroix affirmait
que «[les associations étudiantes]
vont dire [au gouvernement]
qu’elles souhaitent le gel. Le gouvernement
va répondre que c’est
impossible. Et là, les négociations
vont commencer pour avoir le
“moins pire” des scénarios au
niveau de l’accessibilité.»

Lorsqu’on questionne Louis-
Philippe Savoie à propos de la
possibilité pour le mouvement
étudiant de négocier une bonification
de l’AFE tout en abandonnant
la position du gel, il reste de
glace : « Nous n’avons aucune
volonté de reculer. » Il ajoute que
la FEUQ sera présente à la rencontre
des partenaires en éducation
organisée par la ministre Line
Beauchamp, mais que ce n’était
pas un lieu de négociation. «Nous
allons simplement profiter de la
tribune pour faire part de nos
revendications », poursuit le président
de la FEUQ.

De son côté, l’Association pour une
solidarité syndicale étudiante
(ASSÉ), militant pour la gratuité
scolaire, ne participera pas à cette
rencontre. Selon Gabriel Nadeau-
Dubois, porte-parole de l’ASSÉ,
«cette consultation bidon ne servira
qu’à légitimer une hausse des
droits décidée à l’avance».

M. Nadeau-Dubois affirme qu’une
source fiable du ministère de l’Éducation
a informé l’ASSÉ des trois
scénarios que proposera le gouvernement
lors de cette rencontre :
«Augmenter de 500 $ par année
jusqu’à ce que les droits atteignent
80 % de la moyenne canadienne,
atteindre la moyenne
canadienne des droits de scolarité
(5 350 $) sur une période de
quatre ans ou moduler les droits
selon le programme d’étude.» Le
ministère n’a pas souhaité commenter
cette information.

Campagne difficile

Malgré l’appui des syndicats professionnels,
M. Savoie reconnait
que cette campagne politique est et
restera difficile : «Les cibles sont
mouvantes: on ne sait pas encore
exactement ce que le gouvernement
propose. En plus, l’horizon
est lointain, on parle de 2012.»

Pour l’instant, la FEUQ s’est contentée
d’actions symboliques comme
nourrir de grilled cheese une
marionnette géante de Jean Charest
pour symboliser les 7 $ par jour
accordés aux étudiants par l’État en
prêts et bourses pour s’alimenter.
«Nous faisons aussi circuler une
pétition qui doit maintenant
atteindre 15000 noms», annonce
fièrement Louis-Philippe Savoie.

Il annonce aussi que la Fédération
sortira à la mi-novembre une étude
sur le niveau de vie des étudiants
universitaires de premier cycle :
«Ce portrait statistique nous servira
à déboulonner les mythes
qu’on accole aux étudiants, qui
seraient riches, gâtés ou surconsommateurs
selon certains commentateurs.»

Le combat de l’Alliance est loin
d’être gagné. Alors que l’automne
grisâtre s’achève, les associations
étudiantes et les syndicats fourbissent
leurs armes. Un grondement
sourd se fait entendre, une bataille
se prépare. Mais pour l’instant, c’est
plutôt une drôle de guerre.1

1. La drôle de guerre désigne la période
d’inaction au début de la Seconde
Guerre mondiale, entre la déclaration de
guerre par la France et le Royaume-Uni
à l’Allemagne nazie le 3 septembre 1939
et l’invasion par cette dernière de la
France, de la Belgique, du Luxembourg
et des Pays-Bas le 10 mai 1940.
 

LES MEMBRES DE L’ALLIANCE SOCIALE

FTQ: Fédération des travailleurs
et travailleuses du
Québec
CSN: Confédération des
syndicats nationaux
CSQ: Centrale des syndicats
du Québec
CSD: Centrale des syndicats
démocratiques
SFPQ: Syndicat de la
fonction publique du Québec
APTS: Alliance du personnel
professionnel et technique de la
santé et des services sociaux
SPGQ: Syndicat de professionnelles
et professionnels du
gouvernement du Québec
FEUQ: Fédération étudiante
universitaire du Québec
FECQ: Fédération étudiante
collégiale du Québec