Filtre d’amour

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Par Sarah Champagne
mardi 7 février 2012
Filtre d'amour

À une semaine de la Saint-Valentin, la recherche de l’âme soeur est plus que jamais numérique. Derrière les profils que les sites de rencontres suggèrent à leurs utilisateurs se cachent des algorithmes comme ceux que développe Alexandre Spaeth, doctorant en génie informatique à l’École Polytechnique. Cupidon a rangé ses flèches, ce sont désormais les mathématiques qui font la paire.

Alexandre Spaeth, profession entremetteur virtuel. Crédit Sarah Champagne

« J’ai déjà été inscrit sur tous les sites de rencontres au monde », rigole Alexandre Spaeth. Mais pas pour trouver une copine. C’est qu’il travaille à étudier le comportement de milliers d’utilisateurs pour un important site Internet américain de rencontres dont il préfère taire le nom. Toutes les semaines, un courriel personnalisé est envoyé aux clients, avec des candidats choisis par une formule mathématique.

« L’idée est de proposer les meilleurs profils pour avoir un plus grand taux d’envoi de messages », explique-t-il. Un système de recommandations qui donne un coup de pouce au destin en réduisant le nombre d’aspirants potentiels.

M. Spaeth utilise la technique des filtres collaboratifs. Il s’agit d’un système de recommandations qui utilise les données de navigation des usagers et leurs habitudes sur le site.  Amazon se sert d’un système analogue pour faire des suggestions d’achat. « Les clients qui ont acheté cet article ont aussi acheté…», propose la boutique en ligne à ses utilisateurs.

Pour les sites de rencontres, le principe est le même. « On étudie les grandes lignes, les tendances et la succession des actions, c’est-à-dire le lien entre le visionnement d’un profil et l’envoi un message », détaille M. Spaeth. Les variables sont cependant plus nombreuses. « Les plus significatives sont l’éducation, l’ethnicité et parfois la religion », précise-t-il.

Selon qui visite quel profil, une relation mathématique se dessine et sert à proposer des candidats. Les femmes « grandes et éduquées » sur le site en question « allaient statistiquement voir plus souvent les profils des hommes grands et éduqués et leur envoyaient plus de messages », dit-il à titre d’exemple.

Les actes avant les paroles

Ce qui distingue les algorithmes du technomathématicien de ceux des autres sites de rencontres (voir encadré), c’est que les informations utilisées sont implicites. On ne se fie pas à ce que les usagers déclarent rechercher, mais « plutôt sur ce que les gens font », précise M. Spaeth. Il faut un minimum d’heures de navigation sur le site pour que les données soient significatives, mais « au-delà d’un certain seuil, on considère que cela donne de meilleurs résultats que les déclarations explicites », affirme-t-il.

On ne se connaîtrait donc pas vraiment ? C’est plutôt l’inhibition d’énoncer ses vrais désirs publiquement qui fausse la donne, selon l’informaticien. « Ce n’est pas socialement accepté de chercher des jeunes femmes de 18 ans lorsqu’on est un homme de 40 ans », ricane M. Spaeth.

Éric Champagne, doctorant à l’UQAM, a interviewé 40 usagers de RéseauContact pour rédiger sa thèse de communication. Il explique que ces sites sont « axés sur le contrôle du contexte de la représentation de soi, dans lequel on veut se vendre le mieux possible ». Quitte à mentir sur sa taille pour les hommes, ou sur son poids, pour les femmes, ce que M.Spaeth contourne avec sa méthode.

Et ça fonctionne. Les chasseurs d’amour envoient bien plus de messages aux profils proposés. Toutefois, « personne ne prétend que c’est une science exacte, et l’on peut se demander si la réussite ne tiendrait pas plutôt à l’accès à un grand bassin de population », nuance M. Spaeth. Et encore faut-il que la flamme résiste à la première rencontre. Après « la maîtrise du contexte des premiers échanges, il faut qu’il y ait une forme de “déprise”, que la magie opère », conclut Éric Champagne.

M. Spaeth ne croit pas que « les gens sont nécessairement conscients que les profils suggérés sont mathématiquement choisis ». Les usagers des sites, quant à eux, ne sont pas toujours aussi sérieux que ces scientifiques de l’amour. Pour Natasha, une étudiante de l’UdeM qui a tenté sa chance sur un site de rencontres, « c’était pour vérifier si c’était vraiment possible de rencontrer quelqu’un et… pour rire avec mes colocataires ». Elle ignorait que la plupart des sites utilisent des algorithmes pour proposer des profils. S’avouant « pas très romantique », elle choisissait les profils librement, sans recommandation et « surtout par les photos et par le lieu de résidence ».

Si Alexandre Spaeth est convaincu que « la science va trouver la clé de tout », il se voit quant à lui comme un romantique en amour. Reste à savoir si la science peut aussi être la clé des sentiments.

 

De sur la Toile à sous les draps

okcupid.com, le curieux

Les utilisateurs de ce site répondent en moyenne à plus de 200 questions. Une valeur numérique est associée à chacune des réponses et à l’importance accordée à la question pour le calcul d’un «potentiel de compatibilité». Sur le mode des magazines féminins, les questions vont de «combien de fois par jour te brosses-tu les dents?» jusqu’à « quel dieu grec te représente le mieux ? » en passant par « es-tu certain d’être hétérosexuel?»

chemistry.com, l’alchimiste

Ce site utilise une méthodologie de questions semblable à celle d’Okcupid, qui vise à établir un profil psychologique. Ses prétentions scientifiques bénéficient toutefois de la crédibilité d’une bio-anthropologue reconnue, Helen Fisher. Elle démystifie la séduction en établissant une relation entre les systèmes chimiques du cerveau et les relations amoureuses. Ainsi, sur chemistry.com, les réponses aux questions définissent une personnalité associée à un profil biochimique, qui est ensuite uni mathématiquement à un profil compatible. Haute testostérone avec haut oestrogène ou haute sérotonine avec haute sérotonine, par exemple. Ariel Fenster, professeur de chimie à l’Université McGill, s’intéresse lui aussi aux effets des « molécules de l’amour ». Il croit cependant qu’il est « très prématuré de penser que l’on sait ce qui se passe », puisque .

nerve.com, le rebelle

Les anticonformistes et les technophobes se réjouiront de la résistance qui voit déjà le jour. Lancé en décembre dernier, nerve.com s’annonce comme « le premier site de rencontres pour humains, sans questionnaire ni algorithme ».