Culture

DU TEMPS OU MA MERE RACONTAIT
Du temps où ma mère racontait est la troisième œuvre de la trilogie d’Ali Chahrour sur l’amour, commencée avec Layl-Night (2019) et suivie de The Love Behind My Eyes (2021). (Crédit photo : Christophe Raynaud de Lage)

Festival TransAmériques : dialogue autour Du temps où ma mère racontait

Le spectacle est présenté en arabe, mais aussi dans la plus ancienne langue écrite de l’humanité, le sumérien. L’œuvre, surtitrée en français et en anglais, repose sur l’histoire vraie de la famille du réalisateur, Ali Chahrour, qui sublime la tragédie d’une guerre par le lyrisme et le chant.

En effet, la tante de M. Chahrour, Fatmeh, n’a jamais arrêté de chercher son fils Hassan, porté disparu en Syrie depuis 2015, et ce, même lorsque les autorités lui ont affirmé qu’il était mort. Elle est décédée d’un cancer sans l’avoir retrouvé.

Fatmeh et Hassan chantaient régulièrement ensemble au foyer. La pièce se conclut d’ailleurs par un enregistrement de ce qui aura été la dernière session de chant entre la mère et son fils.

Sur scène, une autre mère, Leila Chahrour, danse avec son fils Abbas. Ils sont aujourd’hui ensemble et vivants, mais, il y a quelques années, le fils a tenté de partir en Syrie pour y combattre et y mourir.

À la suite de la représentation, les journalistes de Quartier Libre Alexia Boyer et Mohammed Aziz Mestiri ont échangé leurs impressions respectives.

Au-delà de la langue

Alexia Boyer (A. B.) : Tu avais l’air très ému à la fin de la représentation. Qu’est-ce que ça t’a évoqué ?

Mohammed Aziz Mestiri (M. A. M.) : La vérité est que je n’avais pas envie de me lever et d’applaudir comme tout le monde, bien que j’estime que la troupe le méritait amplement. L’expérience que j’ai eue de la pièce est très personnelle et, typiquement, je préfère dans ce cas de figure ne pas avoir de posture analytique et critique, pour ne pas avoir à réfléchir et expliquer ce que j’ai vécu. Du temps où ma mère racontait et ses quatre partitions hantent l’esprit. C’était aussi bon que ça.

A. B. : Qu’est-ce qui t’a le plus marqué ?

M. A. M. : Les interprètes et le réalisateur de la pièce ont pris à bras le corps les codes du chant folklorique arabe, dans ce cas, celui des pays du Levant. La pièce est le récit d’une famille, qui, malgré la douleur, reste fière de son identité et de sa culture, et qui en maîtrise les codes pour partager non seulement la douleur, mais aussi la joie de vivre.

Abbas et sa mère Leila dansent ensemble à un certain moment comme s’ils étaient à une fête de noces. C’est un moment auquel on ne s’attend aucunement, car la troupe sourit, et même réclame à la foule d’applaudir en rythme. Un moment de joie, voire de fierté quant au fait de savoir danser et célébrer la vie, qui bouscule le ton d’une pièce marquée par le deuil et les lamentations.

Comment as-tu vécu l’œuvre de ton côté ? Comme la pièce est en arabe, as-tu senti une barrière ?

A. B. : Pas vraiment, et plus on en discute, plus je me rends compte qu’elle est vraiment conçue de façon à être comprise par tous. Évidemment, des subtilités m’ont échappé, car je ne connais pas si bien la culture libanaise, mais la pièce porte une telle universalité que le message principal qu’elle véhicule se transmet, quelle que soit la langue.

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Crédit photo : Candy Welz

D’ailleurs, le fait de ne pas comprendre les chants autrement que par les sous-titres, qui étaient parfois absents, m’a forcée à davantage me laisser porter par la musicalité. 

Pour autant, les sonorités, elles, étaient véritablement orientales, avec la présence de l’oud et des percussions, et les tonalités propres à la musique arabe. De plus, l’intensité des chants retranscrit la rage, la douleur, la mélancolie, qui sont des sentiments que n’importe qui peut ressentir, tout en conservant ces sonorités purement arabes.

Toutefois, même la comptine sumérienne, que les arabophones ne peuvent également pas comprendre, évoquait ces émotions, ce qui confirme qu’il n’est pas nécessaire de comprendre la langue pour comprendre le spectacle.

M. A. M. : C’est quand même une pièce dans laquelle il y a beaucoup de chagrin. Est-ce que tu y as vu un message d’espoir ?

A. B. : Je ne sais pas si j’appellerais ça de l’espoir, mais j’y ai au moins vu de la résilience. Le spectacle m’a fait penser à d’autres œuvres d’artistes libanais, comme les romans d’Amin Maalouf ou le film Memory Box de Joana Hadjithomas et Khalil Joreige, dans lesquels on perçoit un mélange d’amertume et d’espérance.

M. A. M. : C’est vraiment un spectacle pour tout le monde, touchant et émouvant, mais sans susciter le désespoir. La famille se dévoile avec somme toute peu de mots. En effet, la plupart des chants n’utilisent que quelques couplets, mais chacune regorge de lyrisme. C’est une prestation minimaliste, y compris dans la mise en scène, mais l’effet est monumental.

 Du temps où ma mère racontait d’Ali Chahrour
Prochaines représentations les 23 et 24 mai 2024 à 19 h au Monument National de Montréal.
Tarif : de 28 $ à 55 $ selon la catégorie.
Réservation : billetterie du Festival TransAmériques

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