François-Félix Roy se remettait d’un rhume lorsque Quartier Libre l’a rencontré au début du mois de septembre. Une maladie bénigne attrapée en Italie, d’où il revenait après quelques prestations en Europe. Sa musique pique la curiosité outre-Atlantique, comme celle de bien d’autres artistes dits «trad», le terme folklore préféré des jeunes qui progressent sur cette scène. «Je pense que c’est une manière de casser l’idée d’une musique figée dans le temps, partage l’interprète. On dit : “Regardez, elle évolue”.»
La chanson traditionnelle québécoise est associée à quelques thèmes, sur un petit nombre de variations. Du moins, c’est le cas pour la plupart des auditeurs. Elle peut être entendue lors des fêtes de fin d’année, en tant que trame de fond «gaillarde» de soirées arrosées ou comme un rappel d’un héritage lointain à la Saint-Jean. Pour les non-initiés, sa place appartient souvent au passé, elle fait partie du folklore. Dans des circonstances précises, la musique «trad» se joue et se confine. «Il n’y a pas toujours des contextes de diffusion large, et parfois, ils sont limités à une vision plus clichée de la musique traditionnelle», estime François-Félix.
Une scène bien vivante
Quelques semaines après sa première rencontre avec Quartier Libre, il a invité le journal à assister à un jam dans un bar populaire de la Petite-Italie, sur le boulevard Saint-Laurent. Une manière différente d’apprécier ses mardis soir, dont il a l’habitude. Il n’est pas le seul; des dizaines de jeunes et quelques moins jeunes se retrouvent assis en rond, guitares et violons dans les mains, à jouer un morceau, sur le même rythme.
S’ils ont une passion commune pour la chanson traditionnelle, tous ne sont pas professionnels. Certains jouent simplement pour le plaisir, sans être rémunérés, et les novices comme les spécialistes sont les bienvenus. Les musiciennes Andréanne Côté et Charlotte Kelly sont des habituées de ces rencontres depuis plusieurs années. Charlotte gigue parfois, mais la plupart du temps, elle écoute la musique et socialise. Andrée-Anne danse aussi, mais elle s’est mise au violon «trad» depuis deux ans. «J’aime l’énergie qui ressort de ces soirées et passer du temps avec des gens qui trippent comme moi», témoigne-t-elle. Elles ne sont pas les seules. Le bar est toujours plein à craquer pour les jams.
L’établissement n’est pas le seul à offrir ce genre de soirées sur l’île de Montréal. Selon François-Félix, une dizaine d’événements auraient lieu tous les mois dans la métropole, dont certains sont même spécialisés dans le répertoire traditionnel irlandais.
L’engouement pour ce style est palpable. Si sa diffusion est relativement restreinte dans la culture populaire, des dizaines de festivals existent dorénavant et se tiennent chaque été au Québec. Une réalité bien différente de celle d’il y a tout juste quelques années.
Un premier album aux accents mélancoliques
Peines perdues, le premier album de François-Félix, a été autoproduit avec le soutien du Conseil des arts et des lettres du Québec. Le chanteur a consacré des centaines d’heures à ce projet, qui devient maintenant sa carte de visite dans le monde du «rad». Une douce mélancolie traverse ses pièces et renvoie à des sentiments universels, comme l’amour ou le mal du pays. L’éloignement avec ses proches est un sujet présent dans l’album, notamment dans le titre «Le conscrit de l’an 1810», dans lequel un soldat du Languedoc pleure sa province natale.
Fait remarquable, plusieurs morceaux sont le fruit d’un travail d’archives. Le répertoire qui s’y trouve est souvent hérité de traditions familiales recueillies ensuite par des universitaires. L’Université Laval a d’ailleurs des fonds complets remplis de matériel traditionnel dans ses Archives de folklore et d’ethnologie, rattachées à son programme d’ethnographie.
François-Félix joue dans les festivals de musique traditionnelle québécoise depuis quelques années déjà. Cet été, il a donné trois concerts au théâtre national de Gênes, et il traversera à nouveau les frontières en janvier 2024 pour se rendre dans le nord-est des États-Unis. Comme dans «Le conscrit de 1810», le chanteur voyagera loin de chez lui, mais cette fois-ci, avec joie et un premier album aussi réussi qu’original.