Culture

Sexe, désirs et data est prolongé jusqu'au 7 janvier 2024.

Faire Phi des genres

Dès le début de l’exposition, le public est invité à converser avec « Max », une Intelligence Artificielle conversationnelle. Crédit : Adil Boukind

« Ce parcours contient des propos et des représentations à caractère sexuel, des images créées par Intelligence Artificielle (IA) s’apparentant à de la pornographie et des propos pouvant susciter un inconfort chez certaines personnes. » L’écriteau affiché  sur la porte d’entrée de la célèbre galerie d’art située à deux pas du Vieux-Montréal annonce immédiatement la couleur de Sexe, désirs et data. Victime de son succès, l’expérience  présentée depuis le 1er août dernier par le Centre Phi et a_BAHN, en collaboration avec l’organisme à but non lucratif Club Sexu, se prolonge finalement jusqu’au 7 janvier 2024. Pour cause, depuis cet été, les étudiant·e·s se bousculent pour y assister. « Généralement, notre clientèle est plus âgée, mais depuis qu’on expose Sexe, désirs et data, elle s’est rajeunie », explique le gestionnaire des communications du Centre Phi, Pierre-Olivier Marinier Leseize. 

Produite pour transporter le public dans « la fluidité, la richesse et la complexité de [ses] désirs à l’ère des algorithmes », l’expérience immersive se présente sous la forme d’un parcours au cours duquel l’auditoire aborde sept œuvres multisensorielles. La première est immédiatement exhibée après avoir passé le pas de la porte d’entrée. Les visiteur·euse·s sont équipés d’un badge, sur lequel est inscrit un code QR qu’ils doivent scanner et qui donne accès à une IA conversationnelle : « Max ». « Max se présente comme un chatbox non binaire avec qui je peux discuter de tout, mais surtout de désirs, de relations amoureuses et sexuelles », s’enthousiasme Evy*, visiteuse et étudiante à l’Université de Montréal. Lorsque l’outil est activé sur le téléphone, le public peut interagir avec lui et le solliciter tout au long du parcours. 

 

APPRENDRE EN S’AMUSANT

 

Si la conversation tendancieuse offerte par « Max » fascine plusieurs personnes, penchées depuis de longues minutes sur leur téléphone portable, elle en lasse rapidement d’autres, qui sont invitées à enfiler une paire de lunettes à réalité augmentée, à se diriger vers un écran géant et à participer à « Algo-Match ». Ce jeu vidéo multijoueur est une simulation au cours de  laquelle les participant·e·s incarnent un personnage à la recherche de l’amour et plus encore sur une application de rencontres. 

Le public est alors amené à prendre certaines décisions qui vont amener le personnage incarné à cesser ou non, de converser avec les prétendant·e·s que le jeu propose. « J’ai voulu arrêter de parler avec une des personnes proposées après qu’elle a précisé qu’elle était jalouse, mais pas mon partenaire de jeu, plaisante Evy. Je ne le connais pas, mais j’imagine qu’il a un faible pour les relations toxiques. » Une supposition confirmée par le principal concerné, hilare. « Oui, c’est vrai que j’aime bien les hommes jaloux et les relations conflictuelles », avoue-t-il. Un jeu simplement amusant en apparence, pourtant révélateur des dynamiques amoureuses de chacun·e, en fonction des stratégies de séduction choisies. 

Ces comportements sont d’ailleurs décryptés et diffusés au « Confessionnal » : un espace de partage où les usager·ère·s peuvent s’asseoir face à des stations qui diffusent des messages audio anonymes et préenregistrés. « Ce sont des témoignages de personnes qui partagent des secrets qu’elles auraient honte d’admettre dans un autre contexte », explique M. Marinier Leseize. À l’image d’une confession religieuse, les visiteur·euse·s se griment, le temps d’un audio, en un prêtre à l’oreille neutre venu recueillir les témoignages les plus intimes, sans tabous. 

Le public est invité à écouter les nombreux témoignages
diffusés sur les stations.
Crédit : Adil Boukind

Fantasmes inavouables, histoires conflictuelles et honteuses, désirs peu conventionnels ou encore simples pensées momentanées, etc. Les histoires contées se suivent et ne se ressemblent pas. « Je n’ai pas toujours l’énergie de justifier la raison pour laquelle les filles que je rencontre en ligne ne m’intéressent pas, surtout si je n’ai pas l’intention de les rencontrer », confesse notamment une femme hétérosexuelle de 28 ans qui a souhaité conserver son anonymat, au sujet de la fantomisation (ou ghosting en anglais), dans un audio diffusé par une station. Le «Confessionnal» offre alors au public un espace de partage anonyme dans lequel il serait amené à, lui aussi, se confesser sans jugement, dans le respect et la bienveillance. 

 

GENRE ET MILITANTISME

 

Respect et bienveillance : deux valeurs essentielles, pourtant rares dans l’installation « Hello », une œuvre de l’artiste transgenre montréalaise Ianna Book. Au milieu d’une pièce remplie d’écrans, la graphiste a installé une statue de marbre aux bras cassés gisant par terre. À leurs côtés, un téléphone allumé et bombardé de notifications diffuse des messages insultants à caractère transphobes sur les téléviseurs. « C’est effrayant, ça ne m’étonne malheureusement pas que ce genre de comportement existe, mais ça reste choquant d’imaginer que ce sont de vrais messages », confie le visiteur Nicolas Berthou*, 33 ans.

L’artiste transgenre Ianna Book est reconnue pour mêler art et activisme.
Crédit : Adil Boukind

Pour documenter les nombreuses réponses qu’elle a reçues et exposées, Ianna Book dévoile simplement « son statut trans » aux personnes avec qui elle converse sur des applications de rencontres. Résultat : 50 % d’entre elles cessent de répondre et 9 % rédigent les insultes affichées par l’artiste. « C’est fou, la plupart des messages sont soit de l’ordre du fétiche soit axés sur le sexe, soupire Evy. Il y a vraiment très peu d’acceptation, alors que ça devrait être évident. » Inspirée par la vie personnelle de l’activiste féministe, cette installation dénonce la transphobie en ligne et expose l’enjeu sécuritaire auquel font face les personnes transgenres sur les réseaux sociaux.

Ianna Book n’est pas la seule à s’engager par l’intermédiaire de son art. Le parcours de l’exposition se termine avec « Queering the Map », une œuvre originale de Lucas LaRochelle. Originellement présentée sur internet, cette carte interactive permet à des membres de la communauté LGBTQ+ de poster un message en ligne. « C’est une belle vitrine pour les personnes de la communauté queer partout dans le monde, qui peuvent se sentir écoutées et soutenues grâce à ce projet », développe M. Marinier Leseize. La plupart des notes laissées par les internautes sont des messages de soutien en provenance et à destination de pays où l’homosexualité et la transidentité sont interdites par la loi. Du Yémen, où être gay est passible de la peine de mort, un homme écrit : « Je veux que les autres yéménites dans la même situation que moi sachent qu’ils ne sont pas seuls. Vous existez, nous existons. »

Plus de 5000 personnes de la communauté LGBTQ+ ont déjà posé leur marque sur la carte participative en ligne.

 

Un cri du cœur nécessaire à exprimer pour les personnes de la communauté queer marginalisées et réprimées, mais également à recevoir, pour celles qui auraient la chance de vivre librement leur sexualité en sécurité. « J’ai trouvé ça génial de pouvoir faire le tour du globe en quelques minutes, en lisant des témoignages tout aussi touchants les uns que les autres », confie Rania*, femme lesbienne de 21 ans, finissante au baccalauréat en Sciences politiques à l’UdeM. De nationalité marocaine, elle a immédiatement cherché à lire les commentaires laissés depuis la ville dans laquelle elle est née et a grandi. « J’ai adoré lire tous les témoignages, c’est rassurant de se dire que finalement, on n’est pas tout seul », se réjouit-elle.

* Les prénoms des étudiantes ont été modifiés afin de respecter leur anonymat.

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