Faire face… au pile

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Par Patrick MacIntyre
mercredi 16 septembre 2015
Faire face... au pile
Illustration: Anne-Laure Mahé
Illustration: Anne-Laure Mahé
Le trait est noir jais. Il est gras, mais infaillible. Les couleurs flirtent avec le pastel ; le croquis est pourtant si vif… Des dessins fantasques et puissants, qui vous racontent une histoire, qui vous font dire qu’« il y a du génie là-dedans », Gaby en a plein les tiroirs. Gaby a du talent. Cette Gaby-là est rayonnante. Elle ira loin.

Et puis, il y a l’autre Gaby. Une jeune fille tiraillée par ses démons. Ceux-là mêmes qui la poussent à avoir ces éclairs de génie, ces coups d’éclat, ces coups… de crayon. Et qui la détruisent à petits feux, par la même occasion.

Chaque jour, Gaby se dit que ce sera pile ou face. C’est un petit jeu qu’elle déteste : l’étudiante ne sait jamais ce qui l’attendra au réveil. Côté face : ira-t-elle en cours le cœur léger dans le bel été indien ? Côté pile : l’insouciance sera-t-elle trouble, ce matin ? Le métro roulera-t-il plus vite que la veille, lui donnera-t-il des haut-le-cœur ? Une énième crise de panique pourrait alors se profiler à l’horizon. « Faites que non… »

Quoiqu’il advienne, Gaby ne perd pas la face. L’étudiante se garde bien de parler des crises d’angoisse qui l’assaillent de temps à autre.

Selon l’ombudsman de l’UdeM, Pascale Descary, « Les problèmes de santé mentale semblent […] en hausse à l’Université depuis quelques années »*. Ces quelques mots ont le mérite de rassurer Gaby. « Tiens, je ne suis pas la seule… Je ne suis pas anormale ! »

Ils ont aussi eu le mérite d’attirer l’attention de l’équipe de Quartier Libre. Les problèmes de santé mentale semblent concerner une minorité d’étudiants, mais à quelle hauteur voit-on fleurir des cas comme celui de Gaby ? La hausse est-elle importante ? Le porte-parole de l’UdeM, Mathieu Filion, n’a pas été en mesure de divulguer les chiffres à Quartier Libre. « J’attends de les obtenir, a-t-il indiqué. Mais l’Université a bien constaté une hausse des cas reliés à la santé mentale sur le campus dans les dernières années. »

Au sein de l’Université de Sherbrooke (UdeS), de l’UQAM et de McGill notamment, on constate également une augmentation – chiffrée, cette fois – des demandes en soutien psychologique depuis quelques années (voir les détails en page 11). À l’UdeS par exemple, le nombre de demandes a doublé en dix ans.

« A-t-on le droit à l’erreur quand on est étudiant ? »

Gaby l’a écrit à l’encre noire sur le papier à gros grain. Le trait est net, cette fois. Car pour elle, la réponse est claire : pas vraiment. Être étudiant en 2015 et bien le vivre, ça prend une sacrée dose de détermination, du cran, et un moral à toute épreuve. Faut « l’avoir facile ». Ou disposer de super pouvoirs.

Gaby se dit que le champ lexical de l’erreur et de la fragilité a dû être happé par la masse considérable de cours à retenir, l’appareil administratif universitaire à appréhender, le budget à gérer, le petit boulot à trouver, la vie sociale à ne pas délaisser, la santé physique à entretenir. Le tout sans nécessairement savoir si au bout du compte, on trouvera un emploi dans son domaine.

« À quel moment les étudiants ont-ils le droit à un moment de faiblesse ? » Ils devraient être considérés comme des travailleurs, croit Gaby. Et accompagnés comme tels sur le plan de la santé mentale.

En attendant, elle a l’impression de tromper tout le monde avec sa panoplie « bidon » de Wonder Woman. Il lui manque les bracelets magiques de la super-héroïne, ceux qui auraient pu la protéger des pressions extérieures et du super-vilain, le STRESS. Les autres, eux, ne font pas semblant.

Quelles solutions sont mises en place pour les étudiants comme Gaby à l’UdeM, et dans les autres universités québécoises ? Y-a-t-il des modèles à suivre ? Vous vous en ferez une idée avec ce numéro de Quartier Libre.

Car c’est bien simple : Wonder Woman n’existe pas, pas plus que Superman. Mais leurs panoplies « bidon » ont pour leur part besoin de bracelets magiques, de capes, d’un soutien, d’une épaule. Et les universités devront faire face.

*Rapport annuel 2013-2014

Note : Ces derniers jours, on a également entendu parler d’un rapport plus spécifique, émis par l’ombudsman sur le soutien aux résidents en difficulté à la Faculté de médecine de l’UdeM. Des résidents ont évoqué « un climat de tensions interpersonnelles ou de harcèlement psychologique » dans leur milieu de stage. La doyenne de la Faculté de médecine, Mme Hélène Boisjoly, a indiqué à Quartier Libre qu’un plan d’action avait été remis à l’ombudsman.