Face aux géants

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Par Cédric Thévenin
jeudi 14 février 2019
Face aux géants
La plateforme Érudit a été créée en 1998. Photo : Benjamin Parinaud
La plateforme Érudit a été créée en 1998. Photo : Benjamin Parinaud
Le 10 janvier, le professeur de l’UdeM Vincent Larivière claque la porte du comité éditorial du Journal of Informetrics. Il reproche à son éditeur de générer d’importants profits au détriment de la recherche. À l’UdeM, entre plateformes de diffusion indépendantes et campagnes de communication, les initiatives se multiplient pour retirer aux grands éditeurs privés la mainmise sur la publication scientifique.

«La communauté scientifique doit reprendre le contrôle des moyens de diffusion des connaissances, déclare le professeur à l’École de bibliothéconomie et des sciences de l’information de l’UdeM Vincent Larivière. Ça coûtera moins cher aux États. Il y aura donc plus d’argent pour la recherche. » M. Larivière est l’éditeur bénévole de Quantitative Science Studies.

Il a fondé cette nouvelle revue scientifique après avoir démissionné du Journal of Informetrics avec tout son comité éditorial, le 10 janvier 2019, pour protester contre la politique de son propriétaire1, le groupe Elsevier (voir encadré).

Casser les prix

À l’UdeM, la plateforme Érudit (voir encadré) permet un accès gratuit à la recherche scientifique. « Ce sont toutes ces initiatives qui vont permettre aux bibliothèques de sortir la tête de l’eau », analyse le chargé de communication d’Érudit, Gwendal Henry (voir photo). Le consortium de recherche en partie détenu par l’UdeM publie depuis 20 ans des articles scientifiques sur une plateforme Internet. « On a pris le rôle de défendre les petites revues indépendantes face à l’oligopole [marché où un petit nombre d’acteurs ont le monopole de l’offre] des grandes maisons d’édition », affirme M. Henry.

Ce dernier souligne la diversité des recherches diffusées par Érudit. « Les chercheurs québécois décident d’y publier des articles qui n’intéresseraient pas autant les grands éditeurs, avec des axes de recherche très pointus et plus locaux », explique-t-il. Il ajoute que la plateforme aide les chercheurs qui bénéficient de moins de subventions (notamment dans les pays du Sud) en améliorant l’accessibilité des connaissances et sans facturer de frais de publication.

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Les étudiants en soutien

« On a constaté que le prix des périodiques a augmenté de façon démesurée », s’indigne le secrétaire général de la FAÉCUM, Matis Allali. La Fédération a lancé la campagne Revues à la hausse au cours de l’automne dernier, dans le but d’aider les bibliothèques de l’UdeM à négocier de meilleurs prix avec les cinq plus grandes maisons d’édition.

La FAÉCUM a notamment incité ses membres à attaquer l’image de l’éditeur Taylor & Francis, en attribuant par exemple une mauvaise note sur sa page Facebook. Comme la société d’édition Springer Nature, il avait refusé de baisser le prix de ses abonnements.

Depuis, les évaluations, les avis et les publications de tiers sur la page Facebook de Taylor & Francis ont été désactivés. « Springer Nature ne va pas vouloir subir ce qu’on a fait à Taylor & Francis », estime Matis Allali. Il ajoute que la FAÉCUM ne prévoit pas d’autre action à court terme.

Éditeurs privés toujours attirants

M. Larivière admet que le prestige de certaines revues qui appartiennent aux grands éditeurs continue d’attirer les chercheurs. « C’est l’élément le plus difficile à changer », observe-t-il. Il souhaite que la communauté scientifique arrête de lier la qualité des recherches à la notoriété des revues qui en publient les résultats, et se concentre sur les découvertes.

« J’ose espérer que d’autres initiatives verront le jour bientôt, dit M. Larivière. Il faut néanmoins de nouvelles infrastructures collectives de diffusion sans but lucratif pour les accueillir. Des investissements publics sont nécessaires. » Il cite la plateforme Érudit en exemple, mais pense qu’elle ne suffit pas dans son état actuel. « La plateforme ne serait pas capable d’accepter 2 000 revues demain matin », justifie-t-il.

Se détourner des profits

Le groupe éditorial Elsevier a réalisé un bénéfice de 1,2 milliard de dollars américains en 20172. Comme les autres géants de l’édition savante, il reçoit les articles de chercheurs, les fait relire bénévolement par des pairs et les vend aux bibliothèques, le tout financé par de l’argent public.

Il demande par ailleurs aux auteurs du Journal of Informetrics (JOI) des frais d’édition de 1 800 dollars lorsqu’ils souhaitent donner un accès gratuit à leur article, selon M. Larivière. Le montant est corroboré par le chargé de communication de la plateforme de recherche Érudit, M. Henry.

Le chercheur indique que Quantitative Science Studies facturera de 600 à 800 dollars pour le même service. « Cet argent financera notre plateforme en ligne », explique-t-il. Il précise que les membres de son comité éditorial, les relecteurs de sa revue et lui-même travaillent bénévolement.

En réponse aux demandes de M. Larivière et du reste du comité éditorial du Journal of Informetrics, le groupe Elsevier a publié une longue note sur son site Internet. « Nous pensons que nos frais de publication actuels pour le JOI sont appropriés, car ils sont plus faibles que ceux de ses principaux concurrents et dans la moyenne du marché, alors qu’ils donnent accès à un contenu d’une qualité supérieure à la moyenne3. »

L’éditeur ajoute ne pas vouloir rendre accessible gratuitement ses données sur les citations présentes dans les articles de ses journaux, tel que demandé par l’ancien comité éditorial du JOI. Il justifie sa position en affirmant avoir investi dans une technologie d’extraction de citations.

1. Le Devoir, «Quand les scientifiques se révoltent contre les géants de l’édition savante», le 25 janvier 2019. 2. Rapport annuel et états financiers du groupe RELX, 2017. 3. About the resignation of the Journal of Informetrics editorial board, Elsevier.com

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