«Ce n’est pas nécessairement la meilleure méthode. L’apprentissage est un processus continu qui ne peut se faire à la dernière minute, précise le professeur au Département de psychologie de l’UdeM Luc Brunet. Les possibilités de rétention sont diminuées.» Il est préférable, selon lui, d’adopter la bonne vieille méthode d’apprentissage dans la durée plutôt que d’essayer de mémoriser une masse d’information dans un court laps de temps.
Arrivée à la bibliothèque vers 21 heures, Alice parvient sans mal à retenir l’information qu’elle reçoit au début de la soirée. Mais après quelques heures de travail, les difficultés se font sentir et l’étudiante peine à se concentrer.«Je passe plus de temps à lutter contre la fatigue et à relire mes notes qu’à vraiment assimiler l’information, constate la journaliste. J’ai mal à la tête, mal aux yeux. Je n’ai plus d’énergie. Je ne pense plus à l’examen que je dois passer, j’ai juste envie de fermer les yeux.»
Selon Luc Brunet, certaines personnes peuvent tout de même envisager d’étudier une matière entière en une nuit.«Cela dépend de l’habileté de chacun à gérer cette situation, expose-t-il. Certaines personnes moins résistantes que d’autres peuvent souffrir du travail de nuit.»
Un test en deux étapes
Afin de bien juger des capacités de notre journaliste, celle-ci passe en début de soirée une première série de quatre tests de fonction cognitive du Conseil de recherche médicale de l’Université de Cambridge au Royaume-Uni. Ils visent la concentration, la mémoire, la planification et le raisonnement. Elle les repasse vers 8 heures du matin avant son examen final.
Au test de concentration, Alice obtient la note de 54 %. Lorsqu’elle passe ce test de nouveau, son score n’est plus que de 28 %. «Je ne sais pas comment je vais faire pour tenir, indique Alice qui peine à garder les yeux ouverts juste avant de passer la seconde série de tests. Je lis, mais je ne comprends plus rien. Je suis obligée de relire deux ou trois fois chaque page, j’ai de plus en plus de mal.»
Si, au début de la soirée, Alice obtient un score de 52 % au test de mémoire, sa note chute à 23 % après sa veillée d’étude. «La mémorisation à court terme est inhibée par une nuit blanche, car le stress et la fatigue empêchent la production de protéines nécessaires à la “trace” ménisque , explique le psychologue Rémi Côté. Les nouvelles routes synaptiques ne peuvent pas se créer dans un état de stress.»
Alice décroche d’abord une note de 67 %, puis de 52 % au test de planification. «Les étudiants des grandes écoles pratiquent de la haute voltige, expose M. Côté. Ils sont organisés, ils sont méthodiques, ils ont l’habitude de travailler la nuit. À force d’entraînement, ils sont capables de retenir une masse d’information en un laps de temps court.» Ces étudiants produisent l’adrénaline qui les aide à rester éveillés, ce qui n’est pas le cas de notre journaliste qui en est à sa première nuit blanche d’étude.
Les résultats de l’étudiante au test de raisonnement sont restés sensiblement les mêmes (62 % puis 58 %). On peut expliquer ce maintien par le fait qu’il ne s’agisse que d’une seule nuit blanche. «Le cerveau est résilient et il s’adapte, soutient Rémi Côté. Mais si Alice subit un traitement semblable à ce que la CIA fait subir aux pensionnaires de Guantanamo (plusieurs jours sans vrai sommeil), elle se sentira tellement désorientée qu’elle ne pourra pas se rendre à son local d’examen. Généralement, pour rester au sommet de sa virtuosité, il faut avoir un régime de vie équilibré: sommeil, bonne nutrition, détente, exercice physique.» Selonlui,la capacité de raisonnement est ancrée plus solidement, comme une habitude ou une compétence.
Le résultat
Alice obtient une note de 56 % à son examen de journalisme. La majorité des questions réussies sont celles de raisonnement alors que celles de mémoire sont plus ratées. «J’avais vraiment l’impression de gérer la situation, affirme-t-elle. Mais une fois devant la feuille d’examen, j’avais les idées confuses. J’oubliais pas mal de choses.»
Lors d’un examen, le stress entraîne la panique quand on sent qu’on ne maîtrise pas la situation. «Passer un examen est une situation traumatisante pour certains étudiants mal préparés, mentionne Rémi Côté. En situation de stress, on devient un animal en panique. On ne se souvient plus des grands pans de connaissances déjà assimilés. La mémoire s’efface. Après l’examen, tout revient.»
À savoir si certains examens sont plus faciles à passer que d’autres après une nuit blanche, Luc Brunet se montre intransigeant. «Ne pas dormir la veille d’un examen nuit à l’organisation de la pensée», précise-t-il. Comme quoi une sieste est au minimum nécessaire afin de recharger ses batteries.