« Beaucoup d’entre nous se sont dit pendant leur baccalauréat : « Dans quoi nous sommes-nous lancés ? » », révèle la finissante du programme de baccalauréat en sciences infirmières et présidente de l’Association étudiante en sciences infirmières de l’UdeM (AÉSIUM), Julianne Daoust. Au Québec, le fort taux d’occupation dans les centres hospitaliers dû au coronavirus et la pénurie de main-d’œuvre obligent les hôpitaux à se rabattre sur le délestage. Depuis l’adoption de l’arrêté ministériel 2020-007, le gouvernement provincial possède le pouvoir de suspendre la plupart des conditions de travail de plusieurs catégories d’employés et d’employées de la santé. Cette situation provoque beaucoup d’anxiété au sein de la communauté étudiante en sciences infirmières.
Le sentiment est partagé au sein de la Faculté de médecine. L’étudiant en troisième année du doctorat de premier cycle en médecine David Khayat-Rondeau commencera son externat de deux ans dans les hôpitaux cet automne. « Nous avons des patrons qui sont épuisés, estime-t-il. Nous avons un système qui est sur le point de s’écrouler et, nous, nous sommes juste jetés là-dedans. »
Une formation moins adéquate ?
Cette inquiétude est également liée à l’enseignement en ligne, imposée par le contexte pandémique. « J’ai eu une session où j’allais à l’hôpital une fois par semaine, mais notre contact avec les personnes était limité, nous en voyions seulement quelques-unes, ajoute David. J’en ai quand même vu, mais c’est peut-être quatre fois moins que les étudiants en temps normal. »
L’opinion de certaines finissantes et finissants en sciences infirmières sur les cours en ligne est identique. « C’est sûr que ça nous a fait manquer quand même beaucoup de stages, admet Julianne Daoust. Ils ont été remplacés par des travaux. Malheureusement, cette méthode n’a pas le même effet, bien que l’Université se soit vraiment démenée et ait vraiment fait ce qu’elle pouvait. »
La présidente de l’AÉSIUM se pose également des questions quant à l’accueil dans les nouveaux milieux de travail. « Est-ce qu’il va y avoir assez de personnel pour nous former ? se demande-t-elle. Est-ce que nous allons être un peu lancés dans l’environnement [de travail] ? »
Selon la vice-doyenne aux études de premier cycle de la Faculté des sciences infirmières de l’UdeM, Marjolaine Héon, les établissements sont prêts à accueillir et à former le nouveau personnel. « Au niveau de l’accueil, au niveau de la formation, je pense qu’il y a un souci de la part de tous nos partenaires, et bien sûr, de la part de l’Université de Montréal, à bien former les étudiants, parce que c’est la relève, affirme-t-elle. On veut que notre relève soit adéquatement formée. »
Mme Héon souligne également que les activités qui devaient se tenir en présentiel ont été maintenues. « Nous avons prolongé les stages de quelques jours pour que les étudiants puissent bénéficier le plus possible d’une exposition à la richesse des expériences en stage, précise-t-elle. Donc, de ce côté-là, je pense que nous avons apporté tous les ajustements nécessaires pour que la qualité de la formation soit affectée le moins possible. »
Le président de l’Association des étudiants en pharmacie de l’UdeM (AÉPUM), Olivier Landry, assure quant à lui que ces derniers ont reçu le soutien de la Faculté, mais que la tenue des cours en ligne aura tout de même des conséquences. « Mais ce sont des impacts qui sont difficilement mesurables en ce moment, admet-il. On va le savoir seulement après la pandémie. »
Pression sur les pharmacies
La pénurie de main-d’œuvre dans le domaine de la santé n’épargne pas les pharmacies. Selon Olivier Landry, le manque de techniciens et techniciennes oblige les pharmaciens et pharmaciennes à effectuer des tâches qui, normalement, ne relèvent pas de leur fonction. Malgré tout, depuis l’adoption de la loi 31 en mars 2020, ils ont la permission d’effectuer de nouvelles tâches comme l’évaluation de la condition physique et mentale d’une personne, dans le but d’assurer l’usage approprié de médicaments. Ils peuvent également administrer un médicament lors d’une situation d’urgence. Selon lui, cette nouveauté motive beaucoup de personnes au baccalauréat. « Les étudiants sont très reconnaissants de pouvoir entrer à ce moment-là avec toutes les nouvelles activités qu’on peut faire », révèle Olivier Landry.
L’altruisme l’emporte
La pandémie demeure quand même une source de motivation pour les étudiants et étudiantes en santé. « Tu es entré en médecine pour aider des gens, pour travailler dans un système qui est en train de s’effondrer, mais tu sais que tu peux faire une différence », souligne David Khayat-Rondeau.
« Les étudiants disent que ça ne les décourage pas, au contraire, ajoute Julianne Daoust. C’est comme s’ils voulaient tellement avoir un sentiment d’accomplissement que ça les motive beaucoup. Ils savent qu’en ce moment le système de la santé a besoin d’eux. »
Le corps enseignant en sciences infirmières l’a également remarqué. « C’est venu chercher un peu la fibre altruiste des étudiants, remarque Mme Héon. Ils se sont dit : « Je veux contribuer. Je veux changer les choses. » »
Augmentation des demandes d’admission
L’état actuel dans les hôpitaux de la province pourrait laisser croire que de moins en moins de personnes s’intéresseraient aux métiers du secteur de la santé. Toutefois, selon Mme Héon, le nombre de demandes d’admission a au contraire augmenté en sciences infirmières. « À l’automne, on a eu une hausse de nos demandes d’admission de 10 %, si on combine le baccalauréat et le DEC-BAC », se réjouit-elle. Les DEC-BAC permettent aux titulaires d’un diplôme d’études collégiales en soins infirmiers de réduire leur baccalauréat en sciences infirmières à deux années d’études à temps plein.
Cette augmentation a agréablement surpris la vice-doyenne. « J’ai été très heureuse de voir que la profession d’infirmière attire davantage, confie-t-elle. Honnêtement, je crois que la couverture médiatique de la pandémie a permis de voir que le rôle des infirmières dans le réseau de la santé est névralgique. »