Volume 18

Es-tu étudiant ?

Personnellement, je ne le suis plus.

En ce qui concerne la hausse des droits de scolarité de 75 % sur cinq ans annoncée par le gouvernement Charest, ce statut ne m’exclut pas du débat.

Pourquoi ? Parce que je n’ai pas vraiment d’argent. La majorité des étudiants sont un peu comme moi.

Selon une étude de 2009 de la Fédération étudiante universitaire du Québec (FEUQ), près de 40 % des étudiants ne reçoivent aucune contribution de leurs parents ; 81 % ont un emploi en plus d’étudier à temps plein ; 50 % travaillent plus de 15 heures par semaine ; environ la moitié gagne moins de 12000 $ par année ; les deux tiers n’habitent pas chez leurs parents.

Voilà pour les chiffres que je désirais communiquer.

Ils sont assez éloquents et expliquent l’empressement de certains étudiants à profiter des aubaines sur les boîtes de Kraft Dinner. Avec l’augmentation radicale des droits de scolarité, ils n’auront plus qu’à tout abandonner pour aller travailler à temps plein au snack-bar d’à côté (chez Raymond, par exemple).

Nul besoin d’être pauvre pour participer au débat, qui concerne la société au grand complet. Toutefois, l’épaisseur du portefeuille et la qua lité de la sauce sur ses pâtes au dîner peuvent teinter la prise de position. Il semble y avoir un fossé entre dire que la hausse des droits de scolarité est inacceptable parce que les moins fortunés devront dorénavant choisir entre étudier ou subsister et affirmer que «la présence d’un réseau universitaire dynamique et performant, offrant une formation répondant aux plus hautes normes internationales, profite aux individus qui le fréquentent et à l’ensemble de la société», un discours tenu par Daniel Zizian, président-directeur général de la Conférence des recteurs et des principaux des universités du Québec (CREPUQ).

La différence d’échelle entre la réalité concrète des étudiants et les idéologies de groupes d’intérêt semble laisser tous les arguments faire feuille-morte sans qu’aucune solution constructive vienne satisfaire une majorité de la population. En ce qui concerne l’éducation, le Québec stagne depuis plusieurs années. Gel, dégel, hausse, manifs, grève, hausse, manifs, grève, hausse, manifs, grève. Il est possible d’évoquer l’épisodique déjà-vu, ou la Révolution tranquille. Ou, tout simplement, le mois de mars.

Devinez qui a dit ceci : «Le gel, puis le quasi-gel des droits de scolarité ont été néfastes pour nos universités en les privant des ressources financières dont elles ont besoin pour accomplir leur mission. Pourtant, les étudiants québécois ne fréquentent pas plus l’université pour autant ! » Il s’agit de Guy Breton, recteur de l’Université de Montréal (qui ne se prive pas). Quelle est la mission des universités ? Selon le sens commun, il devrait s’agir d’assurer à la société un avenir de qualité. Dans une vision sociale à long terme, l’accessibilité à une éducation de qualité doit être une priorité.

Pour justifier la hausse des droits de scolarité, une pléiade de politiciens et autres quidams utilisent ce genre de discours : « La scolarité universitaire est indéniablement un investissement profitable pour l’étudiant. » Parle-t-on ici d’investissement financier ? Dans le cadre de ce débat, il me semble que oui. Je suis aussi d’avis que cette vision est étroite, et que le contexte à considérer est beaucoup plus complexe que cela. Mais, au coeur de cet idéal dépourvu de perspective, un problème se pose a priori pour l’individu qui n’a pas d’argent à investir, celui-là même qui va se retrouver à gérer des patates frites et vendre des hot-dogs steamés. Théoriquement, pour investir, il faut posséder (ou emprunter). Idéalement aussi, un investissement est indissociable d’une garantie.

On investit du temps et de l’argent dans l’université pour s’assurer une qualité de vie dans le futur. Mais si pour atteindre cet objectif il est nécessaire de s’éreinter pendant des dizaines d’années à travailler comme un fou, étudier en accéléré, arborer une paire de jeans élimée, se nourrir de nouilles fluo et rembourser ses dettes (le gouvernement du Québec offre un programme de prêts et bourses), il est possible de ne pas se sentir transporté par tel projet d’investissement.

Aller à l’université, ça devient risqué, mais c’est dans l’air du temps. Dans une ère si apocalyptique de changements climatiques et de révoltes politiques, toute projection dans le futur est un saut dans le vide.

Je ne voulais pas vraiment aborder ce sujet.

Si Charest ne s’était pas encore acharné sur les étudiants, d’autres sujets fondamentalement plus lyriques auraient été traités ici. La décision du Dalaï-Lama de renoncer à ses fonctions politiques. Les Chinois qui se ruent sur le sel iodé. La taxe-hamburger envisagée par le gouvernement hongrois afin de gérer les problèmes de surpoids de sa population. Le saviez-vous ? Vancouver, la ville la plus écologique du pays, vise à se transformer en Mecque des entreprises vertes. Lou Reed, ex-membre du groupe Velvet Underground, participera à un concert pour les victimes du Japon. L’iPad 2 est menacé par le séisme japonais. Le jour de la Terre, c’est le 26 mars prochain.

Tant d’action partout dans le monde. Au Québec, ça revient toujours à une nouvelle hausse des droits de scolarité. En termes d’éditorial, voilà qui est castrant.

 

Pour renchérir : citations sympathiques


«Avec la hausse du gouvernement Charest, les étudiants paieront jusqu’à 4500 $ pour étudier alors que Jean Charest n’en a payé que 1500 $. Il y a des limites à tout mettre sur le dos de la même génération.»

– Leo Bureau-Blouin, président de la Fédération étudiante collégiale du Québec (FecQ)

«Le rôle du gouvernement n’est pas de fixer les frais de scolarité des universités. Son rôle, s’il a vraiment un rôle utile à jouer, devrait se limiter à aider les plus démunis à y accéder.»

– Pierre Simard, professeur à l’école nationale d’administration publique à Québec

«Toute augmentation des frais compromet l’accessibilité scolaire. Des études montrent, en particulier, que le tissu social de la population étudiante en est alors nécessairement modifié. Une hausse des droits serait un facteur de régression pour l’accessibilité à l’université de l’ensemble des personnes ayant la capacité et la volonté de poursuivre des études supérieures, quelles que soient leur provenance et leur situation financière.»

– Max Roy, président de la Fédération québécoise des professeures et professeurs d’université (FQppu).

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