Que se passe-t-il du côté des coupes à la FAS?
La première chose qu’il faut savoir, c’est que le budget de l’Université est amputé. Le budget qu’on espérait n’est pas là. Partant de là, jusqu’à maintenant, et c’est arrivé aussi il y a deux ans, plutôt que d’agir à la direction de l’Université de façon générale, et d’avoir une politique qu’on pourrait appeler mur à mur, la direction de l’Université fixe des objectifs en termes d’enveloppe budgétaire. En général, je peux dire que la coupe, en termes de pourcentage, est équivalente.
D’une faculté à l’autre?
Oui. On laisse la responsabilité au doyen de proposer une façon d’appliquer ces coupes budgétaires. Là encore, on n’est pas en situation de dire qu’on veut ou qu’on ne veut pas les coupes budgétaires, notre budget est amputé. Et donc on doit proposer, on dépose une manière de faire. C’est considéré comme sérieux ou pas, acceptable ou pas, par la direction de l’Université et par le comité du budget.
C’est comme ça que ça fonctionne. Ce qui est beaucoup mieux parce que ça évite les coupes paramétriques. Ça évite je dirais d’avoir des solutions universelles pour des situations qui sont très différentes. Ça rencontre, je pense, la façon de voir des doyens, aussi. Jusqu’à maintenant, les doyens font preuve d’une certaine forme de capacité d’adaptation.
Le budget, à la FAS, est amputé de…
Cette année, on a eu une amputation de 2,3 000 000. On sait que le gouvernement du Québec a annoncé des coupes supplémentaires dans le domaine de l’éducation, mais on a pas vu, exactement, la décision prise. En tout cas, moi, je ne la connais pas. Mais au minimum, on sait que ça va être, pour l’année prochaine, pour la Faculté ici, de 1,6 000 000. Enfin, c’est ce qu’on nous a laissé comprendre, déjà, l’an dernier. Donc, si vous additionnez tout ça, ça commence à faire beaucoup de sous.
En terme d’annulations de cours, on parle de 250 charges supprimées, comme l’indique un article du Devoir daté du 28 janvier dernier ?
Non, c’est 200. Au cours des dernières années le nombre de cours de baccalauréat à la Faculté des arts et des sciences, a toujours été en gros le même. Là où il y a une augmentation, c’est au niveau du nombre de groupes-cours, c’est-à-dire qu’effectivement, on a fait un effort pour subdiviser les cours. Par exemple, pour les cours de première année, trop populeux. Et donc, on a eu une augmentation au cours des 5 dernières années: on avait 1100 charges de cours alloués par année. Et là, on est rendu à 1500 charges de cours par année.
Là, ce qu’on va faire, c’est réduire le nombre de charges de cours, de 200 au total, réparti sur 2 ans. On a réduit de 50 charges de cours en ce début d’année. L’année prochaine, notre objectif est de 150 qui s’ajouteront aux 50. Donc, au lieu d’avoir 1500 charges de cours, si on parle globalement, il y en aura autour de 1300. C’est quand même 200 de plus qu’il y a cinq ans.
C’est une opération qui est difficile. On avait 625 professeurs en 2005, 2006, et on avait 5000 étudiants de moins. Et on avait prévu qu’on devait passer à 650 professeurs.Les compressions budgétaires annulent complètement cette prévision. Et on essaie actuellement de protéger le nombre de 625 postes de professeurs. Pour ne pas commencer à régresser en termes de nombre de professeurs. Les engagements qu’on fait institutionnellement, financièrement auprès des professeurs, se font sur plusieurs années. On mise sur un professeur pour qu’il soit là pendant 20 ans, 25 ans, peut-être même 30 ans, donc, je dirais que c’est quelque chose de très structurant, le recrutement des professeurs.
Casser un corps professoral, le faire reculer, c’est très, très pénalisant. Et donc, on essaie de faire en sorte que même si on ne peut pas progresser en termes de nombre de professeurs, au moins de stabiliser et de protéger cela. La non-dépense est une coupe. Pourquoi? Parce qu’au départ, on aurait l’argent. Compte tenu du nombre d’étudiants, compte tenu du revenu étudiant qu’on devrait avoir, on devrait avoir l’argent. Mais cet argent-là s’en va en compressions budgétaires. […]
Les différents doyens de l’UdeM, dont vous, aviez écrit au premier ministre en fin d’année dernière?
Oui, on a eu un accusé de réception. C’est une lettre qui a été signée par les 15 doyens, qui a été envoyée fin novembre, sauf erreur. On aurait aimé que ça passe dans Le Devoir, puis que ça passe dans La Presse, parce qu’on la voyait comme une lettre pouvant être publique, mais ni l’un ni l’autre des deux journaux n’ont pensé que c’était important. Donc ils ne l’ont pas publiée. Et puis, bon, c’est sorti, d’une certaine manière, dans Le Journal de Montréal, à travers une chronique d’un de nos collègues.
Nous, on pense qu’il y a un problème majeur. C’est-à-dire que, on ne peut pas poursuivre éternellement sous l’angle de ces coupes. Le fait de dire que ce sera une nouvelle base, cela nous apparaît tout à fait anachronique par rapport au développement des universités. Ça nous fait régresser. Parce que s’ajoutent à cela des restrictions au plan des subventions de recherche, du financement des plateformes de recherche. Et ce qu’on se dit, c’est qu’on va laisser, dans un an, deux ans, trois ans, un milieu universitaire aux futures générations en mauvais état. Une structure en mauvais état, parce que travaillant au bout de ses capacités.
On était à flux tendu, mais là, on est en train d’étirer davantage. C’est pas jouer les misérabilistes. C’est une situation qui est pénible. Qui est vue ou perçue ou vécue comme étant difficile partout. Les universités ont pris différents aménagements, différentes directions. L’UQAM évoque la possibilité de réduire la masse salariale de 2 %. C’est certain que dans ce contexte, les propositions, dans le cadre d’une convention collective, les propositions qu’on peut faire aux professeurs, ne sont pas des propositions particulièrement excitantes sur le plan de l’évolution des salaires. C’est du sur place, pour l’essentiel. Et puis, ça ne nous amuse pas.
Moi je suis un professeur de carrière. Ça fait plusieurs années que je suis ici. Je suis doyen. Quand je ne le serai plus, je vais redevenir professeur. On connaît très bien notre milieu. […] L’important, pour nous, c’est de faire en sorte de prendre, dans les conditions actuelles, les meilleures décisions. Ou les moins mauvaises décisions. Parce qu’il n’y a pas de décision idéale. L’arbitrage, ou l’équilibre qu’on a fait entre les deux dimensions dont je parlais, c’est-à-dire, arrêter la progression du corps professoral et réduire de 200 charges de cours, annuellement, mais sur la base d’une application de 2 ans, […] c’est une condition nécessaire pour qu’on puisse arriver à notre objectif.
Pendant ce temps-là, le nombre d’étudiants au baccalauréat augmente. […] Là où on a des capacités d’accueil, c’est en lettres, notamment, et dans certaines disciplines des sciences pures, principalement. Mais dans beaucoup de domaines, on est très fortement contingentés. On l’a mis comme ça, comme étant une contrainte. C’est sûr que dans les conditions actuelles, on n’ouvrira pas, juste pour avoir des revenus, les vannes, parce qu’il faut quand même recevoir les étudiants, leur enseigner correctement. […]
On a tendance, dans notre société, à avoir une moins bonne opinion des sciences humaines et sociales, comparativement à d’autres programmes. Est-ce que c’est le rôle de l’Université de promouvoir la valeur de ces programmes-là?
Oui. […] On connait ce phénomène-là. Ce n’est pas une situation uniquement québécoise, ni canadienne. Il y a une association d’universités de recherche en Europe, qui réunit les grandes universités de recherche, Cambridge, Oxford, mais aussi les grandes universités en France, en Allemagne, en Espagne, etc. Le topo, enfin, ce que présente cette association, c’est de dire que c’est une grave erreur. De toute façon, on sous-estime l’importance des sciences humaines et sociales, au fonctionnement des sociétés. Et pas juste au plan culturel et autre.[…]
J’avais déjà donné un exemple, que je vais vous redonner aujourd’hui, et qui m’apparaît assez intéressant. Dans une université qui n’est pas ici, qui n’est pas la nôtre, on voulait avoir un programme technologique pour une bibliothèque. Et on a fait des appels d’offres, puis il y a une entreprise qui s’est présentée, qui a eu le contrat, et pour faire l’analyse des besoins préalables à un plan technologique, c’est un anthropologue qui le faisait. C’est un peu contre-intuitif, on aurait pu penser que c’est un informaticien qui le faisait. Non, pas du tout. Et cette firme est une firme qui a un déploiement, qui a une activité, qui est au niveau international.
Ce que je veux dire, tout simplement, c’est que les gens qui ont des formations très diverses et qui peuvent apparaître comme étant à l’écart des activités strictement économiques comme le génie et l’administration, au contraire, ont un rôle fondamental dans le développement de notre société. C’est vrai aussi par le fait que nos sociétés sont des sociétés qui développent avec une catégorie de population qui est aussi créative. Et on a compris il y a quelques années qu’un des meilleurs supports au développement de l’activité socio-économique des grandes villes, par exemple, c’était justement d’avoir une diversité au plan des formations, ces gens-là créent des besoins, développent des activités qui sont, je dirais, un foisonnement.
Et quand je dis ces gens-là, c’est une panoplie très large, qu’on appelle les sciences humaines et sociales. Par exemple, une entreprise au plan internationale qui veut se développer a besoin, entre autres, de personnes qui vont faire une analyse de risque, mais de risque géopolitique. Il y a quelques années peut-être, c’était moins présent, ou c’était moins important. Mais ce sont des choses qui deviennent tout à fait importantes dans le développement actuel. La société, donc, et les sociétés, se renouvellent. Elles ne se renouvellent pas en repoussant les formations et les fonctions qui sont celles qu’on développe en sciences sociales. Mais au contraire, en les valorisant. Et c’est donc assez curieux que le discours ambiant, le discours dans les grandes agences ou autre, mette l’accent essentiellement sur des formations qui peuvent apparaître comme des formations professionnelles directement tournées vers, je dirais, la production d’une entreprise. Une entreprise n’est pas que la production, bien au contraire.
Je pense qu’il y a comme une forme d’illusion dans cela, ça peut être pénalisant. Et notre rôle, effectivement, c’est de valoriser ces secteurs. Non pas par charité chrétienne pour ces secteurs, mais tout simplement parce que c’est assez fondamental. C’est navrant qu’on ne s’en rende pas autant compte, mais je pense que c’est majeur. […]
Ce n’est pas parce qu’on est diplômé de ces disciplines qu’on a de moins bons salaires. J’ai, par exemple, des chiffres de Statistique Canada, des comparaisons de carrières, qui le démontrent. Est-ce que mettre l’accent sur cet aspect peut aider à lutter contre les préjugés, ou est-ce que ce serait au contraire soumettre la valeur de ces programmes-là à une logique de marché qui ne les sert pas?
Oui. Bien, c’est une information qui est intéressante à mettre sur la scène publique. Personnellement, j’aurais du mal à valoriser les lettres et sciences humaines et sciences sociales, d’abord et avant tout avec cet argument. Je pense que c’est bon qu’on le sache. Mais je pense que les gens doivent s’engager dans un parcours de formation de type universitaire d’abord et avant tout parce qu’ils en ont vraiment envie, parce qu’ils vont avoir, d’une certaine façon, satisfaction à ce travail-là, à se former, à s’investir là-dedans. Je serais un peu rebuté par le fait de dire : «Venez chez nous, ou venez dans tel domaine, où vous allez faire autant voire plus, que les autres». C’est bon que les gens le sachent, que ce soit pas pénalisant de faire des études en lettres, en sciences humaines et sociales, qui a une carrière qui est un peu moins prédéterminée, mais qui existe, et la loi du nombre montre que ça existe, mais, pour n’importe quel étudiant, je serais un petit peu moins porté, si vous voulez, par passion personnelle, par sensibilité personnelle, moins préoccupé à vanter, d’abord et avant tout, cet élément-là.