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Cette découverte

Entrevue avec Geneviève Pothier Bouchard

Racontez-moi votre expérience à Arcy-sur-Cure. Comment se sont déroulées les recherches? 

L’été dernier, la mission de fouilles archéologiques s’est déroulée du 12 mai au 20 juin 2014. Comme chaque année, mon expérience à Arcy-sur-Cure s’est déroulée à toute vitesse. Le site de la Grotte du Bison et cette région de la Bourgogne sont devenus mon refuge estival depuis les trois dernières années et je considère l’équipe d’une quinzaine de chercheurs et stagiaires comme ma seconde famille!

Une routine peu banale s’est installée durant six semaines à Arcy-sur-Cure. Tous les matins, 8h30, c’est un départ après les tartines et le café au lait. Vingt minutes de voitures, et nous sommes arrivés sur le site touristique des Grottes d’Arcy-sur-Cure qui appartient au Comte François de la Varende.

Les grottes préhistoriques longent la petite rivière de la Cure. Plus d’une dizaine de ces cavernes témoignent du passage de nos ancêtres durant la préhistoire. La voûte de la Grotte du Bison, cette petite caverne de 80 mètres carrés, s’est effondrée à plusieurs reprises durant la préhistoire, suite aux passages alternés entre les groupes chasseurs-cueilleurs néandertaliens et leurs compétiteurs carnivores, les hyènes des cavernes, les loups et les ours des cavernes.

Depuis combien de temps effectuez-vous des fouilles?

Ça fait déjà trois ans que je fouille sur la Grotte du Bison. J’avais fait l’école de fouilles préhistoriques de l’UdeM dans la région de St-Anicet un an auparavant et quelques autres fouilles archéologiques au Québec. C’est après ma seconde année de baccalauréat en anthropologie à l’UdeM que j’ai commencé à m’envoler vers la France tous les étés. Depuis mes toutes premières fouilles archéologiques en première année de baccalauréat, je suis devenue dépendante. J’ai besoin de ma dose annuelle de découvertes et d’aventures archéologiques!

Comment s’est déroulée votre découverte?

Durant les six semaines de la mission, nous nous sommes mis au travail, armés d’outils de dentiste (grattoirs), de bâtonnets en bambou et de pinceaux. Nous travaillons sur les toutes premières occupations néandertaliennes de cette grotte, car nous atteindrons bientôt le sol stérile (sans témoins archéologiques). Lorsque toutes les pièces archéologiques sont fouillées et retirées du sol, elles passent au laboratoire de terrain, aménagé dans une grotte voisine pour la durée de la mission. Les objets sont lavés à l’eau, séchés et marqués d’un numéro à l’encre de Chine.

Une fois à Paris, j’ai commencé à étudier ces ossements qui forment mon corpus d’analyse dans le cadre de mon mémoire de maîtrise. J’effectue une analyse zooarchéologique, c’est-à-dire que je tente d’identifier l’espèce animale et la partie anatomique de toutes les pièces osseuses de la collection faunique 2014 afin de définir et comprendre les modes de subsistances des groupes de chasseurs-cueilleurs néandertaliens qui ont fréquenté la Grotte du Bison il y a un peu plus de 50 000 ans.

Ces analyses me permettent de mieux comprendre le tableau de chasse de ces groupes et la façon dont ils transportaient, consommaient et utilisaient leurs proies.

C’est donc en effectuant ces analyses, en plein mois de juillet, que j’ai aperçu ce fragment de fémur de renne. À première vue, ce n’est qu’un petit bout d’os de quelques centimètres de long. Rien de très spécial. Mais lorsqu’on le fixe durant toute une journée, en le comparant à d’autres ossements d’animaux pour le tenter de l’identifier, c’est très difficile de ne pas remarquer le moindre détail sur cette pièce (comme sur les 2000 autres pièces!).

J’étais un peu étourdie par ma journée dans le laboratoire. Je n’ai pas tout de suite compris ce que je venais de découvrir. J’ai donc emprunté une loupe binoculaire poussiéreuse qui traînait sur le coin d’une table. J’ai allumé une lampe de chevet au-dessus de la lentille (histoire d’avoir l’air professionnelle). Les traces me paraissaient bien claires à ce moment. J’ai nettoyé un peu l’objet et j’ai utilisé une méthode encore plus professionnelle pour avoir un deuxième avis au plus vite. J’ai posé la caméra de mon Iphone sur la lunette de la loupe binoculaire et j’ai pris quelques photos. J’ai trouvé une connexion wifi gratuite et j’ai tout de suite envoyé les photos à mon collègue, Luc Doyon, qui se spécialise dans l’étude de la technologie osseuse.

Quelle a été votre réaction lorsque vous avez réalisé l’importance de votre découverte?

J’ai pleuré! Et j’ai dansé toute seule dans le grand laboratoire complètement vide. Heureusement, je n’ai pour témoin que les dizaines de squelettes montés d’animaux qui décorent le laboratoire d’anatomie comparée du Muséum national d’Histoire naturelle à Paris.

Je ne venais peut-être pas de découvrir le Saint Graal sous la menace des nazis, mais l’adrénaline m’est tout de même montée au cerveau!

Qu’est-ce que cette découverte apporte à votre parcours?

Il est évident qu’une telle découverte m’apporte beaucoup d’un point de vue académique (publication, visibilité, médiatisation, etc.). D’un point de vue personnel, cet événement me rappelle surtout la raison pour laquelle je m’aventure dans de longues études qui, on doit se l’avouer, sont très risquées financièrement.

La passion de la découverte, le sentiment d’excitation lorsque je suis assise au beau milieu d’une grotte, entourée des objets qui ont été laissés par des populations humaines il y a plus de 50 000 ans. C’est cette fébrilité et cette passion qui me poussent à m’impliquer dans des dizaines de projets au Québec et en Europe, tout en écrivant mon mémoire et en m’inscrivant au doctorat.

 

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