Entre l’université et le marché

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Par Zacharie Routhier
mercredi 12 septembre 2018
Entre l’université  et le marché
Le professeur Tony Antakly s’intéresse notamment à la biologie du développement et au contrôle de l’expression des gènes. Crédit photo : Zacharie Routhier.
Le professeur Tony Antakly s’intéresse notamment à la biologie du développement et au contrôle de l’expression des gènes. Crédit photo : Zacharie Routhier.
Le centre de commercialisation de la recherche de l’Institut de recherche en immunologie et cancérologie de l’UdeM (IRICoR) a reçu une subvention de 25 millions de dollars de la part du gouvernement fédéral. Ce type d’organisation offre une forme de financement complémentaire aux subventions de recherche libre, mais ne saurait les remplacer, selon différents partis impliqués.
À long terme, c’est ce genre de recherche [libre] qui va donner lieu à des nouvelles technologies et molécules. Il faut nourrir la poule aux œufs d’or si on veut qu’elle ponde quelque chose. »
Tony Antakly Professeur au Département de biochimie et de médecine moléculaire de l’UdeM

IRICoR est une organisation à but non lucratif rattachée à l’Institut de recherche en immunologie et cancérologie. Elle offre un soutient financier et professionnel à des projets de recherche ayant le potentiel de maturer vers de nouvelles thérapies commercialisables. Pour la directrice, Nadine Beauger, l’objectif n’est pas de transformer le monde académique en milieu pseudo industriel. « En milieu académique, c’est toujours la science pour la science, et c’est très bien, raconte-t-elle. Mais si on veut que ça amène des résultats tangibles, il faut qu’il y ait un potentiel commercial. »

Selon Mme Beauger, cela ne veut cependant pas dire cesser pour autant de financer la recherche fondamentale, soit la recherche de nouvelles connaissances sans fins pratiques immédiates. « Sinon, la vanne va tarir et on n’aura plus rien à valoriser », illustre-t-elle. Le professeur au Département de biochimie et de médecine moléculaire Tony Antakly abonde dans le même sens. Selon lui, la recherche doit idéalement être libre, créative et sans contrainte. « À long terme, c’est ce genre de recherche [libre] qui va donner lieu à des nouvelles technologies et molécules, explique-t-il. Il faut nourrir la poule aux œufs d’or si on veut qu’elle ponde quelque chose. » Augmenter le financement public pour la recherche est nécessaire, insiste-t-il.

Le professeur admet qu’actuellement, certains instituts de commercialisation répondent à un besoin de financement et qu’ils ont leurs avantages. Selon lui, ces organisations aident les chercheurs à mieux protéger leur propriété intellectuelle et l’expertise qu’elles offrent permet de valoriser leur recherche. Il précise qu’il est important qu’elles respectent leur droit de regard. « C’est bien de les avoir, pourvu qu’ils soient rigoureux, et qu’ils respectent la mission fondamentale de l’Université, qui n’est pas de gagner de l’argent, avance-t-il. Mais ça ne saurait remplacer un financement public adéquat. »

Respecter les balises

M. Antakly estime que certaines balises doivent être respectées pour que la commercialisation de la recherche n’interfère pas avec la mission de l’Université.

« Si on commercialise ou si on a des résultats commercialisables, tant mieux, mais il ne faut pas que ça remplace la mission du chercheur », explique celui qui a signé deux rapports* sur la commercialisation de la recherche avec la Fédération des professeures et professeurs d’Université du Québec (FQPPU) au début des années 2000. Il a également présenté un mémoire à ce sujet à l’Assemblée nationale en 2006.

De l’IRIC à IRICoR

L’équilibre entre la recherche fondamentale et la commercialisation est incarné par l’IRIC et IRICoR, selon le chercheur principal de l’unité de recherche en signalisation cellulaire et protéinique de l’IRIC, Philippe P. Roux. « Je pense qu’on peut facilement voir les deux types de recherche coexister », affirme-t-il.

M. Roux, qui est également professeur au Département de pathologie et biologie cellulaire de l’UdeM, fait partie des scientifiques ayant un partenariat avec IRICoR. « Le projet en question […] tente d’identifier les petites molécules pouvant cibler de nouvelles cibles thérapeutiques potentiellement intéressantes pour le cancer, plus précisément pour le cancer du sein et de l’ovaire », explique-t-il.

Selon lui, l’accompagnement offert par IRICoR lui a permis de faire des liens entre différentes plateformes d’experts qui étaient nécessaires à l’avancement de son idée. « C’était un projet qu’on pouvait considérer à haut risque, mais ayant beaucoup de potentiel, ajoute-t-il. C’est difficile de financer ce genre de projet à l’externe. » Il explique qu’IRICoR permet un financement renouvelable chaque année, contrairement aux canaux classiques comme les bourses fédérales, qui sont souvent sur de plus longues périodes.

Il affirme ressentir une grande liberté d’action avec IRICoR. « Je pourrais abandonner le projet à tout moment, illustre le chercheur. Et il n’a pas d’impact sur toutes les autres choses que je fais dans mon laboratoire. »

Accélérer la découverte de nouveaux médicaments

Le mandat principal d’IRICoR est d’accélérer la découverte et la commercialisation de nouveaux médicaments et thérapies, explique la directrice générale. Pour ce faire, l’organisation offre une expertise qu’on ne retrouve pas traditionnellement dans le milieu académique, selon elle. Elle donne comme exemple la capacité à établir des partenariats avec le privé. « On parle d’étude clinique, on parle de mise en marché », souligne-t-elle.

Mme Beauger explique qu’IRICoR finance les projets porteurs, les accompagne et leur permet de gagner en valeur et d’être attractifs pour un partenaire. « Contrairement à d’autres domaines […], le cycle de vie des projets est très long dans le cas de la découverte de médicaments », dit-elle pour justifier la complexité du processus.

Elle ajoute qu’en tant qu’organisme à but non lucratif, les revenus des histoires à succès sont réinvestis pour assurer l’encadrement de nouveaux projets.

*La commercialisation de la recherche et de l’expertise universitaire dans les université québécoises, Comité ad hoc de la Fédération québécoise des professeures et professeurs d’université sur la commercialisation de la recherche, 2000.

La propriété intellectuelle en milieu universitaire au Québec, Comité ad hoc sur la propriété intellectuelle de la Fédération québécoise des professeures et professeurs d’université, 2002.