Entre le rêve et la réalité: 50 ans plus tard

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Par Charles-Albert Morin
jeudi 12 septembre 2013
Entre le rêve et la réalité: 50 ans plus tard

Pour bien des Américains, l’année 1963 est celle du rêve de Martin Luther King. Le Québec de la Révolution tranquille, lui, n’avait pas à vaincre la ségrégation, il rêvait plutôt d’un accès à l’éducation pour tous. La publication du premier tome du rapport Parent au printemps de cette même année ouvrait un important débat qui soulèverait encore les passions, presque 50 ans plus tard, avant de s’essouffler après les élections de l’année dernière.

L’impression qu’on garde aujourd’hui du Sommet sur l’enseignement supérieur de l’hiver dernier, c’est que le compromis qui aurait satisfait joueurs de casserole et ceux qui se mettaient des bouchons dans les oreilles n’a pas été atteint. Ce qui devait être la grand-messe du dialogue et du diachylon pansant les blessures du printemps s’est avéré être une suite de négociations soporifiques.

La guerre de tranchées pouvait-elle céder la place au dialogue ? Pour le psychologue Jonathan Haidt, auteur de The Righteous Mind, c’est beaucoup plus difficile qu’on puisse le croire. Dans un exposé passionnant, Haidt affirme que nos opinions sur des questions politiques ou morales viennent de nos intuitions, et que la raison joue un rôle de figurant. Autrement dit, sur une question donnée, nous nous campons presque immédiatement dans une position que nous essaierons par la suite de justifier à l’aide d’arguments rationnels. Les arguments du camp adverse qui remettent en question nos croyances nous indisposeraient. Ainsi, il n’est pas étonnant que vous ne connaissiez à peu près personne qui a changé d’avis sur la question des droits de scolarité au cours de la crise. De même, le terrain d’entente qu’auraient pu trouver syndicats et patronat, recteurs et étudiants, a des dimensions assez limitées.

L’attitude des mouvements populaires des dernières années pourrait se résumer à une hostilité avouée envers les institutions. Autant les mouvements Occupy que les associations étudiantes dites « radicales » s’en méfient. On préconise la politique de la chaise vide, comme ce fut le cas de l’ASSÉ qui a boycotté le Sommet. Pourtant, ses dirigeants auraient gagné à participer au débat. C’est de cette façon qu’ils ont le plus de chance de réaliser des gains. Le sociologue Joseph Yvon Thériault remarque dans la revue Argument du printemps dernier que ce refus de participer à la délibération caractérise de plus en plus les mouvements de gauche. On se replie sur sa position, on se fige dans la protestation.

Martin Luther King avait compris ce que pouvaient lui apporter les institutions, l’ouverture à l’autre. Une bonne partie de l’Amérique, les élites comme les citoyens, considérait encore les Afro-américains comme des citoyens de seconde importance. Avec une bonne dose de ténacité et de pragmatisme, son rêve sera exaucé, du moins en partie, avec les lois historiques sur les droits civiques.

Dialoguer avec ceux qu’on croit être nos ennemis peut nous sembler insignifiant. Le mouvement des droits civiques aux États-Unis nous rappelle cependant que le dialogue est la meilleure façon de progresser et, accessoirement, de parvenir à ses fins.