Endettement à la carte

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Par Clementine.Roussel
mercredi 26 janvier 2011
Endettement à la carte

Chez les jeunes adultes, les cartes de crédit s’accumulent, les prêts étudiants se multiplient, les marges de crédit augmentent et les taux d’intérêt montent en flèche. En attendant, les banques jubilent.

«Le crédit, c’est la pensée magique. On glisse la carte et on paie plus tard. Le principe est joli sur le papier, mais la facture fait mal à la fin du mois. J’essaie de ne pas garder mes cartes de crédit sur moi parce que ça me fait dépenser trop facilement », explique Julie, 25 ans, jeune diplômée de l’UdeM en littérature de langue française.

L’endettement est devenu un mode de vie afin de répondre à la norme sociale de consommation. Le crédit est le nouveau salaire des jeunes sans le sou. Pour être «normal», il faut dépenser et faire valoir son pouvoir d’achat. Julie ajoute que «c’est à cause de notre société qui valorise la consommation, mais aussi de nos amis et de notre entourage, de toujours vouloir les derniers gadgets à la mode. On se laisse facilement influencer.» Les jeunes seraient victimes de consumérisme aigu. La carte de crédit en serait le remède.

Toutefois, Sophie Roussin, analyste en matière de finances personnelles et d’endettement à l’Union des consommateurs, explique que «les étudiants ne savent pas comment la carte de crédit fonctionne. Les jeunes pensent que payer le minimum suffit pour ne pas payer des frais d’intérêt, ce qui n’est pas vrai.» Suzanne Barwick, experte en planification financière chez PWL Capital, complète en disant que «si les jeunes n’ont pas de ressources, les banques ne devraient pas leur émettre une carte de crédit, parce qu’à 19 % de taux d’intérêt, ils vont tomber dans le trou facilement et ils ne pourront plus rembourser leurs dettes».

Selon une étude de la Coalition des associations de consommateurs du Québec, 75 % des jeunes possédant une carte de crédit disent détenir une dette d’au moins 1 000 $. L’endettement moyen des 18 à 29 ans s’échelonne à 1 700 $. Oui, mais la carte de crédit, c’est parfois ce qui sauve l’étudiant dans son quotidien en lui permettant d’assumer ses frais d’épicerie et autres factures, quitte à creuser son découvert. Entre la difficulté de concilier études et travail et les bourses qui sont souvent insuffisantes, les étudiants doivent emprunter en espérant rembourser rapidement à la fin de leurs études. Yassine, 30 ans, est étudiant en baccalauréat de biologie à l’UdeM. Il illustre les difficultés quotidiennes en prenant l’exemple d’un étudiant qui vit dans les résidences. « Le loyer est de 308 $. En éliminant toutes les cotisations automatiques non obligatoires, il reste plus de 1000 $ de droits de scolar i té à régler. Di sons qu’en moyenne, un étudiant reçoit 600 $ de bourse par mois. Après le paiement de son loyer, il lui reste moins de 300 $ pour payer sa carte de métro, son forfait téléphonique, ses frais d’épicerie sans avoir même commencé à payer ses droits de scolarité.» Il ajoute que «ce ne sont que les très chanceux qui trouvent une chambre dans les résidences. Bonne chance à ceux qui doivent se trouver un appartement.»

Cercle vicieux?

Prêts étudiants qui servent en totalité à rembourser les droits de scolarité, bourses insuffisantes pour payer ses dépenses quotidiennes et dettes qui s’accumulent : la marge de crédit fait son entrée. Les jeunes peuvent facilement souscrire à une marge de crédit d’au moins 5000 $. Mais qu’en est-il du remboursement? Julie explique qu’elle a décidé d’acquitter son prêt étudiant et sa marge de crédit sur 10 ans en faisant des remboursements de 165 $ par mois (pour une dette qui s’élève à 17000 $). Elle ajoute que «pour ce qui est du remboursement de mon prêt, ce n’est pas facile non plus. Je travaille à temps plein dans un magasin de prêt-à-porter, mais je gagne à peine plus que le salaire minimum. Il est difficile de rembourser un si gros montant. J’ai parfois des regrets de m’être endettée pour étudier dans un domaine que j’aime, mais que je savais très limité au niveau des perspectives d’avenir.»

Pendant que les jeunes diplômés s’échinent à rembourser leurs emprunts, ils ne peuvent ni épargner, ni placer leur argent, faute d’avoir des économies. Selon une étude de Statistique Canada, les étudiants qui auront contracté un prêt auront moins d’économies et auront moins de chance d’être propriétaire terrien. Au placard l’épargne et les placements. Julie confirme en disant qu’elle a de la difficulté à économiser : «Quand j’ai payé le loyer, les factures et le prêt étudiant, il ne me reste plus rien. Je dois dépendre de mon conjoint pour mes dépenses supplémentaires. Alors les placements, je n’y pense même pas!»

Et malgré ça, les banques et les compagnies de crédit sont toujours au rendez-vous. «On m’accorde des limites de crédit assez élevées même si j’ai des dettes d’études et un salaire médiocre, ajoute Julie. Je suis toujours surprise de voir qu’on est prêt à m’offrir plus. » Les banques diversifient leur offre en modulant les produits de crédit. Ainsi, elles accordent leurs services de prêt aux plus pauvres et aux jeunes. Visa vient d’ailleurs de sortir la carte prépayée RushCard qui permet d’offrir les services d’une carte de crédit aux familles qui n’ont pas de compte en banque ou qui ne peuvent pas emprunter.

Faire un budget, une nécessité

La spécialiste en planification financière Suzanne Barwick affirme qu’il est judicieux de contracter un prêt étudiant pour payer ses études et qu’il faut travailler à temps partiel pour payer le reste. Le budget est la base d’une bonne gestion financière. Sophie Roussin, de l’Union des consommateurs, ajoute que « les étudiants doivent tenir un budget comme n’importe qui à l’aide de logiciels ou de versions en format papier. Protégez-vous propose une méthode pour faire son budget et La Presse publie tous les ans un cahier modèle pour planifier son budget.» Elle ajoute que « le budget revient toujours au même. On donne les mêmes conseils, que la personne ait un prêt à rembourser ou pas. Il suffit de prévoir le remboursement du prêt dans son budget. Le reste du budget est le même.» Suzanne Barwick conclut en disant qu’en effet, «le budget des jeunes n’est pas différent d’un budget pour n’importe qui. Il faut juste que les dépenses égalent les ressources financières.»

Malgré tout, le risque de surendettement n’est jamais loin. Suzanne Barwick est formelle : « le crédit détruit tout ». Sophie Roussin ajoute «qu’il faut éviter l’utilisation des cartes de crédit et des marges de crédit autant que possible. Certains étudiants accumulent prêt étudiant, marge de crédit et carte de crédit, ce qui devient ensuite presque impossible à rembourser. » Le budget reste la seule solution pour ne pas vivre au-dessus de ses moyens. Encore faut-il s’y tenir… Suzanne Barwick conclut : « C’est évident qui si l’étudiant part de l’université avec un diplôme, il gagnera forcément plus qu’un jeune qui a commencé à travailler directement et qui n’a pas d’éducation universitaire. Donc, une personne qui a fait des études pourra, par la suite, économiser pour s’acheter un condo, une voiture, etc. Tandis que, pour les autres, se sera dur.» Tous à vos budgets !