Élections américaines 2020 : Facebook se dote d’une nouvelle politique pour lutter contre la désinformation

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Par Esther Thommeret
mardi 20 octobre 2020
Élections américaines 2020 : Facebook se dote d’une nouvelle politique pour lutter contre la désinformation
A l'approche de l'élection présidentielle américaine, la plateforme a annoncé une nouvelle politique pour lutter contre la désinformation. Crédit : Wikimedia Commons
A l'approche de l'élection présidentielle américaine, la plateforme a annoncé une nouvelle politique pour lutter contre la désinformation. Crédit : Wikimedia Commons

Lors des élections américaines de 2016, Facebook avait été une plateforme centrale de diffusion de fausses nouvelles. Le 7 octobre dernier, le réseau social a annoncé se doter d’une nouvelle politique pour lutter contre la désinformation en cette nouvelle période électorale. André Caron, professeur au Département de communication de l’UdeM, répond aux questions de Quartier Libre sur le sujet.

Quartier Libre : Pourquoi Facebook se dote-t-il d’une nouvelle politique en cette période électorale ?

André Caron : L’une des choses dont il faut se rappeler, c’est que l’objectif premier de Facebook est évidemment de faire de l’argent. Les plus grands revenus de la plateforme viennent de la publicité ciblée. À l’aide d’algorithmes, la stratégie de Facebook est d’analyser le contenu des pages des utilisateurs, leurs goûts, leurs connaissances et leurs préférences, pour ensuite vendre ces informations à des publicitaires. Ces derniers vont ensuite renforcer nos préjugés, nos stéréotypes, nos préférences de manière générale. Nous finissons par nous exposer à ce qui nous plaît et à ce qui nous intéresse. Tout ça a évidemment des implications au niveau électoral.

Un point qui est très important pour un réseau social est de garder une crédibilité. Cette crédibilité-là a un certain prix. Il faut accepter que, même s’il doit être profitable et intéressant pour les annonceurs, certaines limites ne doivent pas être franchies. Après 2016, les réseaux sociaux ont pris du temps à accepter cette responsabilité-là. Ils se sont finalement dotés de politiques qui semblent, du moins en surface, répondre aux critiques qu’on leur avait faites.

Ils font face à un défi énorme, ils sont constamment tiraillés entre l’envie de garder un modèle économique qui est très payant, de protéger la liberté d’expression et d’essayer de propager le moins possible toute mauvaise information. Ils sont aussi dans un contexte qui aurait été beaucoup moins difficile s’il n’y avait pas un président américain lui-même agent de contamination de l’information.

Q.L. : Que pensez-vous de cette politique, qui vise notamment à supprimer des centaines de « fausses pages » et de « faux comptes » ?

A.C. : Lorsqu’on lit la nouvelle politique de Facebook par rapport à la question électorale, je dirais qu’elle a quand même un mérite, parce que le réseau social essaye de se baser sur des faits avant de supprimer des comptes. Il va voir ce que la majorité des médias traditionnels diffusent comme information. Par exemple, pour savoir quel candidat est susceptible d’être élu, il s’informe sur les médias pour voir quelles sont les projections établies.

Facebook se fie au travail de ces derniers pour se donner bonne conscience, mais il fait rarement ce travail lui-même. Exceptionnellement, lorsque le National Post de New York avait diffusé des informations volées sur des serveurs, il a préféré ne pas republier ces informations avant de faire une vérification. Mais c’est malheureusement plus l’exception que la règle.

Q.L. : Lors des élections de 2016, pourquoi disait-on que Facebook avait été utilisé comme une arme de manipulation électorale??

A.C. : Facebook n’est pas le seul à manipuler, des forces étrangères le manipulent aussi, notamment la Russie et la Chine. Elles identifient les vulnérabilités des gens, et elles sont capables de cibler l’adresse IP spécifique de quelqu’un qui est sur telle rue, dans tel quartier, qui a élu telle personne à la mairie, ou encore de savoir par leurs conversations si c’est le soin des animaux ou l’écologie qui les préoccupent.

À ce moment-là, elles façonnent le message de manière à ce que ça nous touche, que ça nous concerne. Et là, elles nous amènent tranquillement vers un geste qui peut être de voter républicain ou démocrate. On s’aperçoit que, présentement, dans la campagne présidentielle américaine, énormément de fausses publications sont publiées.

Q.L. : Comment Facebook fait-il pour dissocier une source légitime d’une source illégitime ?

A.C. : La question, c’est « comment peut-on les dissocier de manière honnête et objective ? » Facebook se retrouve dans une société inondée de fausses informations, la majorité venant de sources illégitimes. Mais parfois, elles viennent aussi de sources légitimes, comme lorsque le président Trump ou un sénateur énoncent quelque chose qui va à l’encontre de toutes les données scientifiques. Facebook se fie alors à un ensemble de sources, notamment aux médias traditionnels, qui convergeraient vers la réalité en tant que telle.

Q.L. : Que fait Facebook pour empêcher la diffusion de ces « fausses » nouvelles ?

Les algorithmes identifient des contenus explicitement tendancieux et il va les éliminer ou les court-circuiter. Mais c’est extrêmement difficile quand ces contenus sont juste des perceptions, et qu’ils ne sont pas des faits établis scientifiquement, par exemple. Très souvent, Facebook fait des erreurs dans l’analyse des contenus, parce ces derniers sont décontextualisés.

On l’a vu dans le domaine de l’art. Des tableaux classiques du musée d’Orsay ou du Louvre ont été bannis par le réseau social, parce qu’on voyait un sein. C’était totalement décontextualisé. Vous imaginez, en politique, combien ça peut l’être encore plus. C’est un défi énorme. Ça prend du temps et du capital humain, parce que la machine permet moins de remettre les choses dans le contexte. Facebook est sensible à ça, mais il est quand même naïf. Malgré toutes les mesures annoncées sur sa page pour les élections, ça ne règle pas le biais de départ.

Q.L. : Facebook a également annoncé interdire la publicité politique une semaine avant les élections. Que pensez-vous de cette mesure ?

A.C. : Facebook va empêcher les annonces politiques, mais le contenu politique, les propos et les rumeurs vont continuer de circuler. Ce qui, d’après moi, est une bonne décision. Mais est-ce que ça va avoir un effet sur toutes les personnes qui ont déjà voté* ?

*Depuis septembre dernier, plus de 40 États ont mis en place des systèmes de vote par anticipation. Cette mesure répond notamment à la demande des électeurs, qui craignent d’être contaminés par la COVID-19 s’ils se rendent sur place le 3 novembre prochain.