L’humour a atteint le rang d’art, et ses artistes, celui de superstars. Internet déborde de sketchs vidéo, les cabarets d’humour essaiment les grandes villes du monde entier, et Montréal reste le berceau de la seule école francophone qui offre une formation professionnelle dans le domaine.
Pour autant, la question « peut-on rire de tout ? » demeure un véritable marronnier du débat public. Elle réapparaît régulièrement dans les médias, la plupart du temps au détour d’une controverse : peut-on cibler une population minorisée pendant un sketch du Bye Bye ? Déclarer au sujet d’un enfant porteur de handicap que « y’est pas tuable » ? Publier des caricatures d’une figure religieuse ?
Rire autrement
Malgré sa tournure philosophique, l’interrogation ouvre rarement de véritables pistes de réflexion. Depuis plus de trente ans, la réponse de l’humoriste français Pierre Desproges « mais pas avec n’importe qui » apparaît souvent comme une réponse toute faite. Mieux vaut clore le débat avant que les esprits s’échauffent.
Au fil des polémiques, un certain consensus s’impose toutefois : celui du respect des sensibilités individuelles. La société n’admet plus la dérision si elle se nourrit de haine ou de mépris, se provoque au détriment d’autrui, ou s’affranchit de toute considération pour le ressenti des personnes visées. Exit, donc, des blagues dégradantes sur les femmes, les homosexuel·le·s ou les personnes racisées qui caractérisaient un humour souvent très blanc et masculin.
D’aucuns y voient le signe d’une société aseptisée, où le « politiquement correct » aurait pris le pas sur la liberté d’expression. Des espaces physiques ou numériques accueillent pourtant un foisonnement de voix autrefois silenciées. Celles qui étaient autrefois l’objet de plaisanteries à leurs dépens s’emparent désormais de l’art qui les a autrefois diminuées et en font une arme pour s’affirmer. Parmi elles, l’étudiant de l’UdeM Jérémy Chhor brille sur les planches des concours étudiants grâce à son humour caustique. Quartier Libre lui a concocté un portrait.
Rire pour résister
Si l’être humain est capable du plus drôle, il l’est aussi du plus triste. Alors que ses horreurs déferlent en continu sur nos écrans, les rires se tarissent, s’amincissent, s’aigrissent.
L’humour, toutefois, subsiste. Il prend le risque de friser l’indécence pour adoucir temporairement l’impuissance et l’angoisse. Il devient alors un acte de résistance, comme pour les artistes qui ont témoigné dans le reportage « Quand l’actualité brûle, les humoristes s’allument ». Derrière les éclats de rire résonnent alors des rugissements de colère.