Eau potable avec pesticides

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Par Michel Jean
vendredi 7 avril 2017
Eau potable avec pesticides
Banni en Europe par mesure de précaution, le pesticide atrazine est toujours légal au Canada. Crédit photo : Marie Isabelle Rochon.
Banni en Europe par mesure de précaution, le pesticide atrazine est toujours légal au Canada. Crédit photo : Marie Isabelle Rochon.
Des échantillons d’eau étudiés par le professeur et chercheur en chimie environnementale à l’UdeM Sébastien Sauvé ont permis de détecter la présence d’atrazine dans l’eau potable de la métropole. L’analyse commandée par Équiterre démontre des concentrations supérieures aux normes de l’Union européenne qui a banni ce pesticide en 2003.

L’atrazine est un herbicide utilisé dans l’agriculture du maïs au Québec depuis des décennies et qui sert à protéger les cultures. Ce pesticide s’infiltre dans le sol et contamine les cours d’eau qui débouchent dans le fleuve Saint-Laurent. Les recherches du groupe de M. Sauvé se spécialisent dans les analyses d’échantillons environnementaux tels que les matrices d’eaux potables ou usées, c’est pourquoi Équiterre a fait appel à lui.

Membre du groupe de recherche de M. Sauvé et doctorant en chimie à l’UdeM, Marc-Antoine Vaudreuil revient sur la procédure d’analyse. « On détermine les quantités de contaminants, dans ce cas-ci l’atrazine, présentes dans les échantillons d’eau pour en vérifier la concentration de pesticides », explique-t-il. Les échantillons analysés ont été récupérés dans le réseau d’aqueducs de la ville. Les pourcentages d’atrazine relevés ne sont pas anormaux, mais indiquent un taux tout de même inquiétant pour la faune aquatique du fleuve Saint-Laurent d’après le professeur.

La précaution européenne

Pour assurer une protection de l’environnement, les normes européennes imposent une concentration d’atrazine inférieure à 0,1 microgramme par litre (g/l) dans l’eau potable. Ces exigences sont basées sur des critères totalement différents, selon le spécialiste en génie de l’environnement à l’UQAM, Benoit Barbeau. « Les normes européennes ne reposent pas sur l’étude toxicologique comme ici, note-t-il. Ils travaillent avec un principe de précaution beaucoup plus strict ». Cela expliquerait pourquoi l’atrazine n’est pas encore bannie au Canada, car le respect des normes est jugé suffisant.

Le principe de précaution est issu d’une ligne directrice commune en Europe. Lorsque les données scientifiques ne permettent pas l’évaluation exhaustive des risques d’un produit, il peut être retiré du marché. Cette analyse du risque vise à sauvegarder l’environnement et la santé de manière préventive. En Amérique du Nord, ce principe de responsabilité est moins prégnant. Selon M. Barbeau, il fait grimper considérablement les coûts de l’eau potable en échange de résultats marginaux. « Même si les gens veulent être rassurés, le risque zéro n’existe tout simplement pas », insiste-t-il. L’enseignant rappelle qu’au Canada, la considération environnementale est moins scrupuleuse lorsqu’elle n’affecte pas l’être humain.

L’eau à Montréal

Les quantités d’atrazine détectées dans l’eau potable à Montréal ne constituent pas un danger clair pour la consommation humaine. Santé Canada juge que les concentrations inférieures à 3,5 µg/l sont tout à fait sécuritaires. Les échantillons analysés par M. Sauvé indiquent des concentrations maximales de 0,242 µg/l dans l’eau traitée de la métropole. « Le laboratoire de M. Sauvé a des limites de détection beaucoup plus précises que la Ville de Montréal, note M. Barbeau. Ses méthodes sont très fiables. »

Le contrôle de la qualité de l’eau à Montréal est exemplaire selon M.Barbeau. « Des dizaines de points d’échantillonnage sont suivis chaque semaine», assure-t-il. D’après lui, les Montréalais n’ont aucune raison de s’inquiéter de leur source d’eau potable. Si l’UdeM a son propre réseau de distribution, elle est branchée sur le même réseau d’aqueducs que le reste de la ville, approvisionné à Édouard-Montpetit et par l’aqueduc traversant le Mont Royal. « Le chemin est différent, mais l’eau qui en sort est identique », soutient Benoit Barbeau.

Une population avertie

Des critiques sont formulées à l’endroit des acteurs conscients de la présence d’atrazine dans l’eau potable. Pour l’étudiante en sciences infirmières à l’UdeM Vanessa Vaillant, le silence de Santé Canada et des municipalités est problématique. « Les autorités impliquées doivent sensibiliser le public même si les taux d’atrazine prélevés sont considérés comme inoffensifs pour l’être humain, affirme-t-elle. Si l’Europe a des raisons de s’inquiéter de l’utilisation de ce pesticide, nous devrions peut-être en avoir également. » Selon elle, cette information ne devrait pas faire les manchettes à cause d’un groupe de pression environnemental, mais par souci de protection du citoyen.

L’attention médiatique actuelle demeure bénéfique pour faire bouger les choses. Les groupes de pression ont un rôle à jouer et forcent les experts à prendre position, souligne Benoit Barbeau. « L’essentiel est d’utiliser des arguments scientifiques qui ne font pas qu’éveiller l’émotion », conclut l’enseignant, ajoutant que l’argument écologique est souvent insuffisant pour éveiller l’intérêt de la population face aux dangers des pesticides qui contaminent l’eau.