Depuis quelques années déjà, le Canada fait mauvaise figure aux conférences de l’ONU sur les changements climatiques. Au lendemain de la dernière édition qui s’est tenue à Durban, en Afrique du Sud, du 28 novembre au 11 décembre, il est devenu le premier pays au monde à- se retirer du protocole de Kyoto. Emmanuel Précourt Sénécal, journaliste pour la Délégation de la jeunesse du Québec, raconte la difficile expérience d’avoir été canadien à cette occasion.
Lors de son entrevue avec le Quartier Libre parue le 5 octobre dernier, l’étudiant en Études internationales de l’UdeM était rempli d’espoir et de détermination à l’idée de s’envoler pour Durban. Deux mois et demi plus tard, après les négociations difficiles et l’annonce du retrait du Canada du protocole de Kyoto, le retour au pays a un goût amer. L’heure est au bilan et à la frustration pour le militant de 19 ans.
« Nous avons réellement tenté de faire comprendre aux gens d’ici à quel point le Canada était mal vu lors des négociations à Durban. En revanche, j’ai l’impression que la honte d’être canadien ne s’explique pas. Il fallait être là», affirme-t-il.
Lors de son séjour, Emmanuel a eu la chance de s’entretenir avec le ministre fédéral de l’Environnement, Peter Kent, afin de faire valoir l’opinion de la jeunesse jusqu’aux hauts dirigeants. À cette occasion, il a pu constater un clivage. « Dans les faits, ils trouvent ça bien de voir des jeunes Canadiens sur la scène internationale, ils nous écoutent et puis ils ressortent la cassette “conservateur” qui se résume à l’argent et à l’économie! » déplore-t-il.
Selon Emmanuel, la plupart des autres délégations, des ONG ou des groupes de pression présents à Durban dissociaient cependant relativement bien les Canadiens de leur gouvernement. « En fait, la perception des autres représentants à notre égard n’était pas si mauvaise. On sentait plus de la pitié et de la sympathie de leur part. Souvent, on nous répondait : “Ah! Vous êtes canadiens, pauvres vous !” » raconte-t-il.
Le Canada a remporté une nouvelle fois le prix Fossile colossal annuel (voir encadré). Une distinction très dure à encaisser pour certains militants canadiens, mais qu’ils reconnaissent méritée. «Lors de la remise du prix, les gens criaient : “Shame on Canada !” [« Honte au Canada ! »] Et, oui, nous avions honte », se souvient Emmanuel.
La frustration omniprésente par rapport au Canada était palpable durant les négociations. Certaines délégations officielles n’ont pas hésité à pointer du doigt la mauvaise foi du Canada alors que normalement, la procédure interdit de nommer ou de citer en exemple les pays, dans le but de minimiser l’agressivité des débats.
Canadiens, mais surtout Québécois
Le Québec a une position claire et distincte de celle du Canada en matière de changement climatique, ce qui a certainement contribué à dissocier les Québécois des Canadiens conservateurs. « Lorsqu’on se présentait on insistait souvent pour ajouter le fameux “Québec” à la suite de “Canada”, question de s’attirer un peu plus de capital sympathie » précise Emmanuel. Le Québec est même considéré comme un chef de file au sein des États fédérés dans la lutte contre les changements climatiques.
« Il n’y a plus d’espoir au niveau fédéral actuellement. L’espoir repose donc sur les provinces, les- villes, les ONG et la société civile », croit Emmanuel. « Les jeunes de la délégation se consolaient en se disant qu’au moins, ils venaient de l’endroit au Canada qui fait quelque chose », raconte-t-il.
Malgré les résultats décevants des négociations, Emmanuel est très satisfait de la présence de la Délégation de la jeunesse du Québec et du travail qu’elle a accompli.
« Il est important de distinguer notre participation de celle du gouvernement canadien. Nous avions comme mandat d’être les yeux, les oreilles et la voix de la jeunesse et là-dessus, nous avons rempli notre engagement en publiant sur Internet plusieurs articles par jour », considère-t-il.
Bien que la conférence de Durban ait tourné au désastre pour le Canada, Emmanuel a senti qu’il était à l’endroit où il devait être pour faire valoir ses idéaux en matière d’environnement. «J’ai senti que j’étais utile, que mes actions avaient un impact sur la jeunesse», conclut-il. Fort de cette conviction, il va consacrer le début de cette année 2012 à la création d’une conférence qui se tiendra dans les écoles secondaires et des cégeps du Québec. Son objectif sera de conscientiser les jeunes à la lutte contre les changements climatiques. Une bonne façon pour Emmanuel de tourner la page de Durban.
Kyoto et le Canada : Je t’aime… moi non plus
Le torchon brûle entre le Canada et les partisans de la lutte contre les gaz à effet de serre. Le Canada s’oppose à pratiquement toute la planète sauf les États-Unis, maintenant que la Chine a déclaré qu’elle prendrait part à l’après-Kyoto.
Le Canada est le champion toutes catégories des récipiendaires de prix Fossile, cette distinction attribuée par dérision aux pays qui contribuent le plus fortement à entraver les négociations lors des conférences sur les changements climatiques. Un premier, deuxième et troisième prix Fossile sont décernés chaque jour durant les rencontres onusiennes, alors que le prix Fossile annuel sanctionne la plus remarquable contre-performance sur l’ensemble des pourparlers. Le Canada cumule les tristes privilèges d’avoir reçu les trois prix dans la même journée, de détenir le record du nombre de prix Fossile du jour récoltés dans une même conférence et surtout d’avoir obtenu les cinq prix Fossile colossal annuel sur les cinq dernières éditions. Difficile de faire pire.
Mais ça n’a pas toujours été le cas. Le Canada a signé le protocole de Kyoto le 29 avril 1998, en même temps que les membres de l’Union européenne. Il aura été le 97e pays sur 191 à le ratifier le 17 décembre 2002, s’engageant à réduire ses émissions de GES de 6% par rapport au niveau de 1990.
C’est l’arrivée des conservateurs au pouvoir qui a totalement changé la donne. Déjà dans son programme de 2006, Stephen Harper ne cachait pas sa volonté d’en finir avec Kyoto, qu’il avait dès 2002 qualifié de- « complot socialiste». Durant les six ans qui ont suivi son élection au poste de premier ministre fédéral, M. Harper aura considéré le protocole de Kyoto comme injuste et irréaliste, pour finalement aboutir au désengagement du Canada, qui deviendra effectif en décembre 2012.
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