Du cinéma pour repenser la société

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mercredi 30 mars 2016
Du cinéma pour repenser la société
Le livre La Société du spectacle de Guy Debord a été publié en 1967 puis adapté en film par l'auteur lui-même en 1973. Crédit Photo : Creative Commons
Le livre La Société du spectacle de Guy Debord a été publié en 1967 puis adapté en film par l'auteur lui-même en 1973. Crédit Photo : Creative Commons
Depuis janvier, le ciné-club Cinéphilo organise à la médiathèque La Passe une projection mensuelle, pour réfléchir à la société grâce au cinéma. Alors que les deux premiers films ont attiré une foule plutôt confidentielle, le dernier en date, La société du spectacle de Guy Debord annonçait plus de 300 participants sur Facebook. Retour sur une soirée d’une affluence inattendue.

C’est au cœur de la médiathèque Gaëtan Dostie, non loin du Musée des beaux-arts de Montréal et du Centre Bell que se trouve La Passe. L’espace, qui se décrit comme  « un lieu de rassemblement et d’échange, un pôle de réflexion et d’action » accueille de nombreux évènements. Le dernier en date : une projection du film La société du spectacle de Guy Debord, suivi d’une discussion. Organisateur du ciné-club Cinéphilo et ancien étudiant en cinéma de l’UdeM, Tiago McNicoll ne cache pas qu’il redoutait un peu cette séance. « C’est une œuvre riche, et qui parle par elle-même, mais en même temps, elle est très fermée à la discussion », estime-t-il.

Ses craintes sont justifiées : alors qu’il diffusait le très cinéphilique Rubber de Quentin Dupieux le mois dernier, le ciné-club fait le grand écart en projetant la société du spectacle, film très obscur et abscons pour le non-initié. Une heure quarante d’un discours fascinant mais complexe, issu du fameux ouvrage éponyme de Debord, sur des images médiatiques et cinématographiques tantôt illustratives, tantôt détournées. Mais La société du spectacle, dont on dit que le livre aurait provoqué les évènements de mai 1968 en France, est un passage obligé pour quiconque s’intéresse aux médias, à la sociologie ou à la politique. « Debord est une référenceil est fortement étudié et lu », rappelle Tiago, dans les universités du monde entier.

Seulement, il en faut du courage pour regarder seul, chez soi, cette œuvre que certains participants à l’échange qui a suivi la projection ont qualifiée « d’anti-film ». Sur YouTube, il est pourtant disponible légalement, dans une qualité optimale (pour les plus téméraires, en voici un lien). Mais il fait partie de ces œuvres sibyllines qui nécessitent d’être vues en groupe pour être appréciées et comprises. Qui a dit que le cinéma était une pratique solitaire? Cinéphilo nous prouve le contraire. Et plus encore que l’acte d’apprécier collectivement l’instant cinématographique, c’est la discussion qui s’en est suivi qui fut fascinante.

« On arrête tout, et on réfléchit »

Certes, les 300 participants annoncés ont manqué à l’appel, et les 1400 « intéressés » sont restés sur Facebook. Malgré tout, la grande et belle salle de la médiathèque était trop petite pour accueillir la soixantaine de curieux et d’avisés présents ce soir-là. Dans son livre et dans son film, Debord cherche à démontrer comment la société contemporaine est devenue une course au spectacle permanent, et comment ce spectacle aliène les individus. Mais depuis la sortie du film en 1971, la société a bien changé. Après la projection, les questions étaient multiples et interrogeaient tant le choix de la forme cinématographique opérée par Debord que l’actualité de ses idées. La discussion était intense, fascinante et riche, mais aussi bienveillante, laissant se rencontrer l’érudit et le néophyte.

Les murs de la médiathèque, qui tire son nom du poète et pédagogue québécois Gaëtan Dostie présentent une exposition rappelant l’âge d’or des rencontres intellectuelles, des années 1950 à 1970. Une époque dont est issu Guy Debord et que Cinéphilo a fait revivre le temps d’une soirée. Pour nous rappeler qu’il est encore possible d’échanger intellectuellement et simplement, et de réfléchir à la société dans son ensemble. Et s’il ne s’agit pas de transformer le monde, au moins l’art, les rencontres et la discussion peuvent essayer d’accomplir le mot d’ordre de Rimbaud, rappelé par un des participants : « changer la vie ».