« Rénoviction » et pressions psychologiques
Témoignage de Florence La Rochelle, étudiante au certificat en journalisme
« Cela fait un an et demi que nous demeurons, mon frère et moi, dans cet appartement à Rosemont. Cet automne, le propriétaire est venu nous voir en personne pour nous avertir que la structure du bâtiment et le toit devraient être rénovés. Il nous a donc annoncé qu’il fallait que nous partions. Sur le coup, nous ne pensions pas avoir notre mot à dire. Il nous a demandé de régler la situation sur le coin de la table. Nous, nous ne voulions pas. Nous préférions écrire une entente officielle nous-mêmes avec tous les détails.
Après cette rencontre, je me suis renseignée un peu sur nos droits et j’ai réalisé que nous pouvions être dédommagés. Nous avions également la possibilité de dire “non”. Notre propriétaire ne pouvait pas juste nous forcer à partir, il fallait que les travaux soient nécessaires. Je lui ai alors demandé qu’il nous envoie l’avis de travaux. Celui-ci mentionnait que tout devait être refait et que leur durée serait de 12 à 18 mois. Il n’y avait toujours aucune mention sur le dédommagement.
Simultanément, notre propriétaire a insisté sur sa prétendue gentillesse avec nous, en rappelant qu’il était venu en personne au lieu d’envoyer un huissier. Nous avons commencé à rédiger une entente, mais nous nous sommes rendu compte que nous pourrions régler l’affaire devant une cour de justice. J’ai appelé des comités d’aide aux citoyens qui ont des problèmes de logement. J’ai compris que nous avions droit à trois mois de loyer gratuits ainsi qu’à un dédommagement pour le coût du déménagement.
À ce moment-là, notre propriétaire a commencé à s’impatienter. Nous avons fini par nous mettre d’accord sur un montant, mais il nous mettait sous pression. Il nous a accusés de vouloir de l’argent et de manquer de flexibilité. Il pensait que les sommes demandées étaient trop élevées.
Nous avons décidé d’en parler avec les voisins qui n’étaient pas au courant des projets de rénovation. Nous avons dit à notre propriétaire que nous aimerions signer l’entente en présence des autres locataires. Je ne voulais pas qu’il nous fasse partir pour que de nouveaux locataires s’installent tout de suite après. Il s’est emporté et nous a accusés de “faire les difficiles”, et il a fini par proposer de régler l’histoire au tribunal. Nous y avons songé avant de finalement décider de signer l’entente.
Une semaine plus tard, les voisins ont été informés officiellement de leur éviction. Eux, qui habitent ici depuis une vingtaine d’années, ont décidé de se tourner vers la justice. Je voudrais insister sur l’un des aspects dont on parle peu lorsqu’il est question de “rénovictions” : le côté psychologique. Le propriétaire te dit soudainement que tu dois quitter ton logement, que tu n’as pas le choix et que tout sera mis à terre. En fait, tu ne te sens plus chez toi, alors que tu es chez toi. En plus, l’une des techniques du propriétaire est de laisser la relation avec ses locataires se dégrader pour qu’ils souhaitent partir. Avoir une mauvaise relation avec lui, ce n’est pas agréable.
Avant que les discussions tournent au conflit, le propriétaire utilisait une autre technique, en tentant de nous rendre empathiques. Il partageait avec nous des détails de sa vie personnelle pour que nous le prenions en pitié. Mais ça m’a mise mal à l’aise. Il n’est pas notre ami, il nous met à la porte. »
Propos recueillis par Matéo Gaurrand-Paradot
Manigances et rénovations
Témoignage anonyme d’une étudiante à la maîtrise à l’UdeM
« Nous étions, avec mon colocataire, situés au milieu du quartier Outremont, dans un appartement vieux mais propre, parfait pour être rénové et pour monter les prix. J’habitais là depuis deux ans lorsque nous avons été évincés.
La première raison que notre propriétaire nous avait donnée pour nous inciter à déménager était que sa fille allait devoir habiter notre appartement pour s’occuper de la grand-mère qui logeait au premier étage. Le temps a passé, et il ne nous en avait pas trop reparlé. Quelques mois plus tard, nous avions compris que sa fille n’allait pas emménager chez nous.
Il nous avait alors offert une nouvelle raison pour nous forcer à partir : il devait faire de “grosses rénovations” qui allaient prendre “beaucoup de temps”. Mon colocataire lui avait demandé si on pouvait revenir après les rénovations, mais lorsqu’il a compris que l’objectif était de nous évincer, il a pris un avocat. Le problème, c’est que nous n’avions pas de preuve que les raisons pour nous évincer avaient changé deux fois. Notre propriétaire ne nous avait pas transmis par écrit sa première demande. Ça aurait été évident qu’il y avait une manigance si nous l’avions eue. Nous avons donc eu droit au minimum : trois mois de loyer remboursés et le déménagement payé.
J’ai l’impression que nous avons été frappés par la vague des “rénovictions”. C’est décevant, surtout quand nous sommes bien dans notre quartier, quand il nous colle à la peau. Mais je ne pouvais pas y rester, compte tenu du prix des loyers. J’ai donc dû me délocaliser. Maintenant, je vis dans Hochelaga-Maisonneuve.
À l’avenir, dès que mon propriétaire me dira quelque chose, je lui demanderai tout de suite qu’il me l’écrive par courriel. Comme ça, s’il change d’avis, ça détruira un peu ses arguments. Il faut toujours garder des preuves.
Bref, quelques mois plus tard, j’allais manger dans un restaurant à Outremont et je suis passée devant mon ancien chez-moi. Et quel hasard : de nouveaux locataires emménageaient dans mon appartement ! Je ne pouvais pas voir à l’intérieur, mais clairement, mon ancien propriétaire semblait juste avoir refait la peinture et ajouté un tapis pour couvrir les marches.
Ce qui est frustrant, au-delà de la “rénoviction”, c’est de voir qu’on s’est vraiment fait manipuler. »
Propos recueillis par Renaud Chicoine-McKenzie
Des coquerelles plein la tête
Témoignage d’Aude Forcione-Lambert, étudiante à la maîtrise en mathématiques
« Tout a commencé avant même que nous n’emménagions, le 1er juillet. En avril, le propriétaire nous a laissés entrer pour que l’on puisse prendre les mesures de l’appartement. Un quatre et demi, quand même en bon état, proche du métro et de la promenade Fleury. Nous étions heureux. C’est à ce moment-là que nous avons vu une première coquerelle dans l’appartement. Nous avons tout de suite informé le propriétaire et il nous a dit que le problème serait réglé avant que l’on emménage.
Bien sûr, dès la première fin de semaine à l’appartement, nous avons revu des coquerelles. Nous avons fait tout ce qu’il fallait, nous ne laissions rien traîner, mais elles continuaient à proliférer. Cela faisait au moins six mois que l’appartement n’avait pas été occupé : c’est sûr qu’elles venaient d’ailleurs. Malgré tout, le propriétaire a refusé d’admettre que le bâtiment était infesté au complet.
Vivre avec des coquerelles, c’est être vigilant tout le temps. Il y a quelque temps, j’étais aux toilettes, et quand j’ai tiré le rouleau de papier pour qu’il tourne, une coquerelle est apparue ! “Bonjour, je suis là !” Mais sérieusement, les coquerelles sont dangereuses, elles traînent beaucoup de maladies. Nous devons laver la vaisselle avant de l’utiliser parce que nous savons que certaines d’entre elles sont passées dessus.
Quand j’ai pris l’appartement, j’essayais de me sortir d’une longue dépression et de reprendre les choses en main. De tomber directement là-dedans, cela a porté un gros coup sur ma santé mentale et eu un lourd effet sur mes performances universitaires. J’ai encore de la misère à faire des semaines complètes de travail. Mon énergie émotionnelle s’enfuit sans arrêt là-dedans, dans le fait de me battre pour régler ce problème.
Nous avons déposé une mise en demeure juste avant le début du mois d’octobre, en demandant que le problème soit réglé pour le 1er novembre. Le propriétaire a enfin bougé. Pour moi, c’est une manière de protéger le reste des locataires. Je sais qu’il y a beaucoup de gens ici avec des familles, qui n’ont pas les moyens de déménager et qui ne se plaignent pas des coquerelles par peur de se faire mettre dehors.
Au fond, les lois, c’est beau, mais c’est très théorique. À moins d’être un étudiant qui, comme moi, a une famille qui peut le soutenir financièrement en cas de problème. C’est le seul cas où quelqu’un leur tiendra tête. »
Propos recueillis par Renaud Chicoine-McKenzie