Chaque mois, des employé·e·s de Statistique Canada visitent des commerces, appellent des citoyen·ne·s et scrutent des bases de données pour déterminer le prix d’un panier d’environ 500 biens et services dans tout le pays3. L’agence fédérale compare ensuite le prix de ce panier à son prix un an plus tôt pour calculer l’Indice des prix à la consommation (IPC), une mesure de l’inflation. Cet exercice a pour but d’évaluer la croissance des prix au fil du temps.
Les prix de l’alimentation, du logement et des transports représentent près des deux tiers des dépenses relevées par Statistique Canada pour mesurer l’IPC4. Le poids de ces trois éléments pèse particulièrement lourd dans le portefeuille des ménages à faible revenu. «En général, les familles à plus faible revenu jusqu’à la classe moyenne dépensent une plus grosse portion [de leur revenu] sur tout ce qui est bouffe, énergie et logement», explique le professeur titulaire au Département d’économie appliquée à HEC Montréal Nicolas Vincent.
Au-delà des statistiques, l’inflation a un impact concret sur la vie des étudiant·e·s. «On est conscient que la communauté étudiante est en précarité financière et que l’inflation n’a pas aidé», affirme la secrétaire générale de la Fédération des associations étudiantes du campus de l’Université de Montréal (FAÉCUM), Radia Sentissi. Pour faire face à la hausse généralisée des prix, plusieurs étudiant·e·s rencontré·e·s expliquent avoir changé leurs habitudes de consommation.
Hausse du prix des aliments
Statistique Canada rapporte une hausse de 11,8 % des prix des aliments achetés en magasin au Québec, entre septembre 2021 et septembre 2022, la plus forte depuis plus de 40 ans5. L’étudiante au baccalauréat en enseignement en adaptation scolaire Rosalie Vézina constate l’augmentation. «C’est sûr que c’est la dépense où ça paraît le plus», déclare-t-elle. En conséquence, elle planifie ses achats avec soin, en essayant notamment de profiter des rabais. «Je faisais déjà très attention, parce que je trouvais ça cher, poursuit-elle. Je ne sais pas comment une famille à faible revenu peut s’en sortir.»
M. Vincent admet que l’alimentation est une dépense difficile à limiter pour les étudiant·e·s. «Au bout du compte, il faut que tu te nourrisses, souligne-t-il. Il y a des limites au Kraft Dinner.»
Logements abordables recherchés
Lorsque vient le temps d’analyser le prix des logements, faire preuve de prudence est aussi de mise. Des résident·e·s vivant dans le même logement depuis plusieurs années contribuent à limiter la hausse des loyers ; une hausse qui se chiffre à 3 % sur un an au Québec, selon Statistique Canada6, alors que le prix des logements vacants augmente plus rapide- ment. Dans une étude parue en juin 20227, le Regroupement des comités logement et associations de locataires du Québec a recensé des dizaines de milliers d’annonces sur le site Internet Kijiji. L’organisme conclut que le loyer moyen affiché pour un logement vacant d’une chambre (un «3 ½») dans la région de Montréal est de 1 134 $, soit 38 % de plus que le loyer moyen des logements déjà occupés.
On est conscient que la communauté étudiante est en précarité financière et que l’inflation n’a pas aidé.
Radia Sentissi, secrétaire générale de la FAÉCUM
La difficulté de trouver un logement abordable peut même inciter à s’établir en banlieue, comme l’a fait l’étudiante au baccalauréat en science politique Sophia Ghaouti. «C’est pour ça que j’ai déménagé à Longueuil, parce que le loyer à Montréal, c’est rendu n’importe quoi, regrette-t-elle. Ce que j’ai à Longueuil, je ne l’aurais pas à Montréal pour ce prix-là.»
La FAÉCUM s’inquiète de l’augmentation des loyers pour la population étudiante. Sur sa plateforme de revendications aux partis politiques en vue des élections provinciales du 3 octobre dernier, la Fédération a d’ailleurs demandé que «le gouvernement du Québec augmente l’enveloppe budgétaire destinée à l’Aide financière aux études pour que celle-ci prenne en compte les coûts réels des loyers payés par les ménages étudiants, en augmentant le plafond d’aide associé aux frais de subsistance8.» Elle indique que l’aide actuelle est insuffisante pour couvrir les frais de logement payés par les étudiant·e·s, surtout à Montréal.
Explosion des prix à la pompe
De toutes les composantes de l’IPC, c’est l’essence qui subit l’augmentation annuelle la plus importante, à 13,7 %, selon Statistique Canada8. Bien que les prix des transports en commun aient augmenté de seulement 2,7 % sur un an9, tout le monde n’a pas la possibilité de les utiliser.
Sophia Ghaouti affirme ressentir la hausse du prix de l’essence, mais estime ne pas avoir le choix de prendre sa voiture, puisque le trajet pour se rendre à l’Université prend «trop de temps en transports en commun».
Pour Rosalie, dont le conjoint travaille loin de la maison, le prix de l’essence a un impact majeur sur le budget familial. «Ça coûte quasiment le même prix en essence que notre loyer», déplore-t-elle.
Rattrapage salarial
La pénurie de main-d’œuvre au Québec pourrait jouer à l’avantage des travailleur·euse·s, notamment des salarié·e·s du secteur des services, en exerçant une pression à la hausse sur les salaires. M. Vincent avance que l’augmentation des salaires «a peut-être été plus importante pour les gens […] qui travaillent dans certaines industries et qui ont tendance à être moins payés en général». Il nuance toutefois ses propos, en précisant que les salaires dans ces industries sont plus bas d’emblée et que des études suggèrent que l’inflation affecte plus les personnes à faible revenu que celles à revenu élevé. L’effet net sur le pouvoir d’achat est ainsi incertain.
Bien que l’augmentation du salaire horaire moyen sur un an soit égale à celle de l’inflation au Québec, à 6,5 %10, l’ensemble de la population n’a pas vu son salaire augmenter suffisamment pour suivre le coût de la vie. C’est le cas du doctorant en droit à l’UdeM Henry Laville, qui travaille aussi comme assistant de recherche. «On n’a pas eu 7 % d’augmentation», précise-t-il, faisant référence à la hausse moyenne des prix des 12 derniers mois au moment de l’entrevue. Maigre consolation pour certain·e·s, les prix de produits à consommer avec modération, tels que l’alcool, le tabac et le cannabis récréatif ont crû beaucoup moins rapidement que l’inflation dans son ensemble11. De quoi réjouir quelques fêtard·e·s, mais cette nouvelle n’aidera pas à payer l’épicerie.
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