Les récents évènements qui se sont déroulés ces derniers mois sur le campus de l’UdeM s’expliquent par un manque jugement, selon des intervenants spécialisés dans les questions de la tolérance. Ils rappellent notamment que la lutte contre l’intolérance est une lutte constante et que la communauté étudiante a encore à apprendre en matière de gestion de la diversité culturelle.
Ne pas s’inquiéter mais rester vigilant, c’est ce que suggère Rachida Azdouz, psychologue de formation et directrice du centre d’études et de formation en enseignement supérieur de l’UdeM, qui a été membre en 2007 de la commission Bouchard-Taylor sur les accommodements raisonnables. «Je ne pense pas que ce genre d’actes soit en augmentation, mais plutôt que les gens les tolèrent moins qu’il y a 20 ou 30 ans», déclare-t-elle sans vouloir pour autant minimiser la situation.
Selon Maryse Potvin, sociologue et chercheure au Centre d’études ethniques des universités montréalaises (CEETUM), il y a surtout chez les jeunes un manque de distance critique vis-à-vis des images et des propos présents sur Internet, ce qui conduit à une banalisation de certains discours sexistes ou racistes. Elle considère que le danger réside surtout dans cette banalisation. « J’ai pu constater lors de la crise des accommodements raisonnables que, quand il y a des dérapages racistes, les gens se sentent libres d’en dire encore plus », ajoute la sociologue.
Maladresse blessante
Si l’étudiant qui s’est déguisé en médecin nazi ne peut plaider l’ignorance, la maladresse est le plus souvent à l’origine des actes d’intolérances. Leurs auteurs n’ont le plus souvent pas de mauvaises intentions au départ, selon Mme Azdouz. Analysant l’affaire blackface, elle considère que ce n’est pas le fait de se déguiser en coureur noir qui est problématique: « Étre noir n’est pas en soi insultant ou dégradant. C’est d’y associer le cannabis, le singe en peluche et le mime de l’acte sexuel qui en fait un geste inacceptable. » La question de la perception est également centrale pour Mme Potvin, pour qui les comportements discriminatoires ne sont pas perçus comme tels par leurs auteurs, qui y voient de l’humour. «Sous le prétexte de l’humour, on banalise des formes de discrimination », résume-t-elle.
Former, et non censurer
À la suite de l’affaire blackface, la direction de HEC Montréal a décidé d’offrir une formation à la classe concernée ainsi qu’aux responsables des activités étudiantes. C’est donc, au total, une quarantaine d’étudiants qui ont suivi en octobre et en novembre une dizaine d’heures de formation données par l’ex-députée du Bloc québécois Vivian Barbot, qui possède une maîtrise en éducation interculturelle.
Le geste des auteurs de l’affaire blackface se voulait inoffensif, selon Jacques Nantel, secrétaire général de HEC. « Le fait que Mme Barbot ait fait l’exercice dans les deux sens a permis aux étudiants de comprendre l’importance de se mettre à la place de l’autre et de voir les autres points de vue que le sien, considère-t-il. Lorsque vous heurtez la sensibilité d’individus ou d’une communauté, vous allez à l’encontre de la cohésion sociale. » Cette formation, qui a été appréciée des étudiants, sera désormais organisée chaque année à l’intention du personnel chargé du service étudiants et des étudiants engagés dans des associations.
Mme Barbot s’est employée à écouter les étudiants, ce qui a donné de meilleurs résultats que de leur « taper dessus », selon M. Nantel. « C’est rare d’avoir une quarantaine de personnes résolument racistes. La plupart sont d’une naïveté et d’une maladresse répréhensible », ajoute M. Nantel. Une manière de faire que Mme Azdouz partage : « Ce serait antipédagogique si les étudiants sortent de cette formation en se sentant coupables et en décidant de s’autocensurer à l’avenir pour ne heurter personne. »
Développer une compétence interculturelle
Pour plus de tolérance dans les rapports humains sur le campus, et dans la société en général, Mme Potvin préconise de développer une connaissance plus fine des questions des droits de la personne et de la dignité, et ce, dès le primaire, afin de « faire comprendre que ce n’est pas légitime de faire de la discrimination ».
Quant à Mme Azdouz, elle considère que « vivre ensemble, ça s’apprend ». Elle estime qu’il faut dépasser les bons sentiments, le folklore et l’éloge de la différence pour favoriser le développement d’une véritable compétence interculturelle. «En bas de l’échelle des compé- tences interculturelles, la sensibilisation est un premier palier assez bien acquis. En haut de l’échelle se situe la capacité à se faire sa propre éthique du vivre ensemble pour être ainsi préparé à tenir compte des gestes que l’on pose, et ce, sans verser dans l’autocensure ou la rectitude politique », résume Mme Azdouz.
Elle aimerait donc voir les programmes de formation intégrer une perspective internationale des questions de société et d’actualité, mais aussi des ateliers de dialogue interculturel et de gestion de conflits. Acquérir ces savoir-faire serait aussi utile pour des étudiants en éducation, qui devront gérer des classes culturellement diverses, que pour des étudiants en administration, qui seront amenés à diriger des équipes multiethniques, mais aussi intergénérationnelles.
La prochaine formation interculturelle de HEC se déroulera en avril-mai ou en août, selon la disponibilité des responsables des associations, qui seront bientôt élus.
Article modifié le 21 mars à 16 h 23.
Le titre de Mme Azdouz n’est plus « vice-doyenne de la Faculté d’éducation permanente de l’UdeM ».