Difficile de briser le silence

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Par Catherine Poisson
mercredi 20 avril 2016
Difficile de briser le silence
Illustration: Marie-Claude Légaré
Illustration: Marie-Claude Légaré
Dans une lettre ouverte publiée le 7 avril dernier, un groupe militant de l’Université McGill dénonce l’inaction de l’administration en matière d’agression sexuelle. Sans politique claire, les victimes se retrouvent face à des procédures lentes, souvent inefficaces et toujours confidentielles.
« Les victimes peuvent bénéficier de la confidentialité si c’est ce qu’elles souhaitent. Mais il ne serait pas étonnant que cet article vise d’abord à les faire taire pour protéger la réputation de l’Université. »
Cecilia MacArthur - Représentante du groupe militant pour une politique en matière d’agression sexuelle à McGill

Dans sa lettre ouverte, le groupe militant pour une politique en matière d’agression sexuelle à McGill explique comment, après deux ans de travail bénévole incluant plusieurs consultations auprès de l’administration de l’Université et une étroite collaboration avec le Doyen aux étudiants, André Costopoulos, McGill a refusé de présenter la proposition devant le Sénat de l’Université. « On s’attendait à devoir négocier certains points, mais pas à ce que le projet en entier soit refusé, énonce la représentante du groupe militant, Cecilia MacArthur. Ça porte à croire qu’ils nous ont seulement utilisés tout ce temps pour se faire une bonne réputation. » Sans cette politique, aucune procédure n’est spécifiquement établie pour gérer les cas d’agression sexuelle à McGill.

Dans la foulée de la campagne Sans oui, c’est non ! lancée à l’UdeM en 2014 et qui regroupe maintenant 16 établissements québécois, les universités paraissent déterminées à encourager le débat sur l’importance du consentement sexuel. Pourtant, l’article 5.7.4. de la politique de l’Université McGill en matière de harcèlement sexuel soulève des questions. Celui-ci stipule que toutes les parties impliquées dans la déposition d’une plainte doivent maintenir la confidentialité du processus.

Pour sa part, M. Costopoulos, considère que le maintien de la confidentialité est une procédure standard dans ce genre de politique. « Je ne me souviens pas qu’il soit déjà arrivé qu’une victime exprime le désir de parler publiquement de son expérience », affirme-t-il.

Une clause pour protéger ?

Selon la professeure titulaire à la Faculté de droit de l’UdeM et spécialiste en droit pénal Anne-Marie Boisvert, plusieurs raisons peuvent justifier ce genre de clause. « La demande de confidentialité vient souvent des victimes elles-mêmes, indique-t-elle. Mais très souvent, c’est également lié aux droits inscrits dans les conventions collectives des employés. » La convention collective du personnel non enseignant de McGill énonce que tout renseignement porté au dossier doit demeurer confidentiel.

Il est également noté que toute mesure disciplinaire sera considérée nulle et retirée du dossier de l’employé après 12 mois si aucune autre mesure semblable n’est imposée dans ce délai. Mme Boisvert précise cependant que les pouvoirs de l’université restent limités. « L’agression sexuelle est un crime au Canada, rappelle-t-elle. Sa répression est le rôle de l’État. Si une accusation est portée, le processus est public et il n’est pas question de confidentialité. »

Toutefois, selon Mme MacArthur, cette mesure pourrait cacher des motifs moins louables. « Les victimes peuvent bénéficier de la confidentialité si c’est ce qu’elles souhaitent, dit-elle. Mais il ne serait pas étonnant que cet article vise d’abord à les faire taire pour protéger la réputation de l’Université ».

Un long processus

De son côté, M. Costopoulos se dit certain qu’une nouvelle politique puisse être adoptée d’ici la fin de l’année scolaire. « J’ai été très surpris par la réaction du groupe militant, avoue-t-il. Mais je continue de travailler très fort avec eux sur ce projet et on espère voir des résultats concrets bientôt. » Il précise toutefois que sa dernière rencontre avec le groupe remonte à plusieurs semaines.

D’ici là, les victimes peuvent déposer une plainte au Doyen aux étudiants, mais cette procédure implique de se présenter à dix rencontres, selon la coordinatrice externe du Centre d’agression sexuelle de la Société des étudiants de McGill (SACOMSS), Dorothy Apedaile. Elle explique que l’étudiant doit alors raconter son histoire devant dix individus différents, dont la plupart possèdent généralement peu ou aucune formation en matière d’agression sexuelle. Le processus entier peut prendre jusqu’à 90 jours. « Au lieu d’aider les victimes, on leur fait vivre de nouveaux traumatismes, croit Dorothy. Il y a un manque flagrant de soutien. »

Dans ce contexte, la politique en matière de harcèlement sexuel peut-elle servir de recours aux victimes ? Cela peut se faire, selon Dorothy, mais c’est rarement efficace, et lorsqu’une décision est rendue, la victime perd le droit de faire appel à tout dispositif externe. Aussi, la plupart décident-elles de ne pas porter plainte, selon elle.

UdeM : politique contre le harcèlement

Parmi les procédures de traitement des situations, le point numéro 20 mentionne la confidentialité : « Les dossiers de harcèlement sont strictement confidentiels et doivent être traités de manière à en respecter le caractère confidentiel. »

Source : Bureau d’intervention en matière de harcèlement