Volume 23

Désexualiser le langage

Frapper les esprits et sensibiliser sur l’exclusion des femmes dans les communications publiques, voilà deux objectifs que M. Bettache avait en tête lorsqu’il a commencé à écrire « étudiantes » pour désigner les deux genres dans ses plans de cours. « Et je fais de même pour m’adresser à mes classes, révèle-t-il. Je précise aussi dans le plan de cours et lors du premier cours que je n’emploie pas le féminin pour discriminer à l’égard des hommes. Je n’ai eu, de la part de mes étudiants et de mes étudiantes, aucune réaction négative. »

Selon l’étudiant à la maîtrise en littératures de langue française Nicolas Longtin-Martel, également organisateur des colloques Le féminisme prend sa place à l’UdeM, cette initiative n’est pas une nouveauté, mais passe souvent inaperçue. « Plusieurs professeures le font déjà dans des cours à l’UdeM où les étudiantes sont majoritaires, affirme-t-il. La nouveauté est peut-être qu’un homme mette ses textes au féminin. Il est assez déplorable que, lorsqu’une femme veut effectuer des changements dans la langue, elle soit plutôt ignorée ou ridiculisée, mais lorsqu’un homme le propose, il figure dans le journal. »

À l’Université Laval, l’initiative de M. Bettache a été saluée, notamment par sa collègue du Département de management et titulaire de la Chaire Claire-Bonenfant, Femmes, savoirs et sociétés, Hélène Lee-Gosselin. « Dans un contexte universitaire, je pense que c’est aberrant de s’adresser à l’ensemble des étudiants et étudiantes seulement en employant le masculin ou seulement le féminin dans un plan de cours, explique-t-elle. Féminiser le langage n’est donc pas l’objectif, mais l’initiative de mon collègue est louable, car elle permet de faire prendre conscience de la nécessité d’écrire de façon non sexiste. » Selon elle, l’État devrait faire de même et s’adresser « aux électeurs et aux électrices, aux citoyens et aux citoyennes. »

Dans la pratique

Pour le responsable du programme de certificat en journalisme à l’UdeM, Robert Maltais, il n’est toutefois pas toujours possible d’inscrire les deux genres dans les communications publiques. « Il existe une convention en rédaction pour l’utilisation du masculin, fait-il remarquer. On écrit ainsi de manière à éviter lourdeur et redondance dans les textes. »

Cette pratique n’interpelle cependant pas tous les étudiants. « En tant qu’étudiante, l’utilisation du masculin dans les plans de cours ne me dérange pas, tempère l’étudiante au baccalauréat en bio-informatique à l’UdeM Djibo Boubacar Rahinatou. En fait, on est tellement habitué à cet usage en langue française que cela finit par paraître anodin.»

Pourtant, M. Bettache soutient que l’égalité hommes-femmes peut aussi être rétablie par le langage. « Il faut que ça aille plus loin, indique-t-il. En Suède par exemple, on a introduit un pronom neutre il y a fort longtemps. » Ce pronom est apparu la première fois en 1966 et est entré dans le dictionnaire suédois en 2015. « Si on le voulait vraiment, on pourrait faire de même en français et réintroduire la règle de proximité pour les accords, explique le professeur. Cette règle, qui stipulait que le qualificatif soit accordé avec le pronom ou le substantif le plus proche, était encore employée au 19e siècle.»

La sociolinguiste et membre du laboratoire Lidilem à l’Université Stendhal, Grenoble 3*, Claudine Moïse, ne pense pas quant à elle que le français puisse un jour voir apparaître un genre neutre. Elle demeure cependant partisane d’un usage plus inclusif et d’un retour à la règle de proximité. « Il est difficile de revenir sur l’histoire de la langue, expose-t-elle. Mais la règle d’accord actuelle, qui impose que le masculin domine le féminin au pluriel, est une décision sexiste imposée par des hommes du 17e siècle qui avaient le sentiment de perdre leur pouvoir, car les femmes étaient alors dans un mouvement de visibilité. »

Djibo reconnaît aussi l’utilité des initiatives comme celle de M. Bettache. « Je pense que c’est une bonne chose d’inclure le féminin dans les communications officielles, par exemple quand le recteur s’adresse à la communauté étudiante », illustre-t-elle.

Nicolas, quant à lui, féminise depuis deux ou trois ans ses travaux universitaires et encourage toute la communauté universitaire à le faire pour que la langue française au Québec puisse évoluer vers plus de neutralité et d’inclusion, selon lui.

 

* Laboratoire Lidilem : laboratoire de linguistique et didactique des langues étrangères et maternelles. Mme Moïse travaille au Canada sur les problèmes identitaires des francophones dans les provinces hors Québec et s’intéresse aux procédés linguistiques liés à la construction des identités en interaction.

VoxPop_6

Partager cet article