Des tattoos contre les tabous

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Par Charlotte Morand
jeudi 11 avril 2019
Des tattoos  contre les tabous
Après cinq mois à sillonner le Québec pour tatouer des points-virgules, symboles de la prévention pour la santé mentale, la tatoueuse Julie Orphanos vient d’achever sa tournée. Grâce à cette expérience, elle aura délivré un message d’espoir à plus de 1 800 personnes.
« Le point-virgule, c’est quand l’auteur aurait pu mettre une fin à sa phrase, mais qu’il a décidé de ne pas le faire. »
Julie Orphanos - Tatoueuse

C’est en hommage à son amie décédée en 2017 que Julie a lancé ce projet le 3 novembre 2018. « C’est la meilleure façon que j’ai trouvée pour composer avec la tristesse du premier anniversaire de son décès », confie l’ancienne infirmière, réorientée vers le tatouage après une dépression. À la vue de cette perte et de sa propre expérience, il s’agissait pour elle d’une étape nécessaire à son cheminement personnel.

Derrière le signe, le message

Le symbole du point-virgule est utilisé pour représenter la prévention du suicide, la dépression, la toxicomanie, la dépendance, les troubles anxieux ou la maladie mentale. « Un auteur l’utilise lorsqu’il aurait pu mettre une fin à sa phrase, mais qu’il a décidé de ne pas le faire », souligne Julie. D’après elle, cette marque rappelle aux gens la nécessité de continuer d’avancer, en dépit des difficultés qu’ils peuvent traverser.

L’engouement suscité par ce mouvement s’explique, selon Julie, par le fait que la population peut être concernée de près ou de loin par ces problématiques, et a donc pu s’identifier au message véhiculé. « Ce n’était pas un tattoo, c’était un mouvement, un symbole, un rassemblement », assure-t-elle. Ainsi, environ 30 % de ses clients se sont fait tatouer pour la première fois.

Un tatouage pour avancer

Claudia T.* est l’une des personnes s’étant fait tatouer lors de la tournée. Elle témoigne du caractère libérateur de cette encre. « C’est comme si je m’étais dit : « Maintenant c’est fait, on peut aller de l’avant » », confie celle qui a vécu une dépression majeure quelques années plus tôt.

Très impliquée dans les causes liées à la prévention du suicide, Valérie Malbœuf souligne quant à elle l’aspect rassembleur de la tournée à laquelle elle a participé. Avec certains de ses amis et des membres de sa famille, elle a décidé de se faire tatouer le symbole à la suite de suicides dans son entourage proche. « C’est comme une solidarité entre nous », explique-t-elle, insistant également sur l’atmosphère conviviale de l’évènement, au cours duquel elle a rencontré d’autres personnes parlant de leurs expériences. « On aurait dit que ça leur donnait le droit de raconter leur histoire sans être jugées », observe-t-elle.

Au-delà de cette dimension émancipatrice, le point-virgule apparaît pour Claudia comme un moyen de combattre les tabous autour de la santé mentale et du suicide. Il constitue, pour celle qui travaille en santé mentale depuis presque dix ans, une marque de soutien. « Je pense qu’en parler ouvertement, ça donne une conscientisation plus générale », ajoute-t-elle.

Il en va de même pour Valérie, qui y voit un moyen de sensibiliser la population à ces sujets. « Les personnes qui ne sont pas au courant de la signification du point-virgule me demandent ce que ça représente, dit-elle. Je peux ainsi parler pour enlever les tabous et la stigmatisation autour de la santé mentale. »

tatouage

La prochaine étape

Après avoir lancé un appel aux bénévoles et aux tatoueurs à se joindre à elle, Julie a décidé d’achever sa tournée à la fin du mois de mars, car elle n’a pas eu les retours escomptés. « Je pense avoir donné ce que je pouvais donner dans ce mouvement-là, mais j’ai aussi ma vie personnelle qui doit continuer », regrette la tatoueuse. En 25 villes visitées, elle aura amassé plus de 25 000 $ distribués sous forme de dons à différents organismes en santé mentale.

Par la suite, elle aimerait conjuguer son expérience professionnelle d’infirmière et sa vocation artistique. « Il n’y a encore rien de précis, mais j’aimerais pouvoir continuer à aider », confie-t-elle, expliquant se sentir très proche de la souffrance des gens et comprendre la pression sociale. Pour ces raisons, elle souhaiterait pouvoir œuvrer pour le bien-être de la personne, mais de façon permanente.

* Elle n’a pas souhaité donner son nom de famille.