Volume 19

Des subprimes étudiantes ?

Après l’explosion de la bulle immobilière aux États-Unis qui a mené à la crise économique de 2008, une nouvelle bulle fondée sur les dettes étudiantes est-elle en train de se créer ? Oui, répond l’Institut de recherche et d’informations socio-économiques (IRIS), qui redoute que le phénomène franchisse la frontière avec la hausse des frais de scolarité annoncée au Québec. Une crainte qui n’est cependant pas partagée par tous les économistes.

 

Illustration : Mélaine Joly

Il y a bulle lorsque les investisseurs exagèrent les perspectives de profits d’un marché, ce qui fait gonfler excessivement ses prix. La récente crise économique aux États-Unis a commencé par une telle bulle. Les ménages avaient massivement investi dans le secteur de l’immobilier qui promettait de juteuses plus-values. Les maisons sont devenues de plus en plus chères, mais les tenants de l’offre, qui souhaitaient voir les ventes continuer à augmenter, ont favorisé l’accès facile au crédit pour davantage stimuler la demande. La bulle a éclaté en 2008 quand il est devenu clair que la valeur des maisons était largement surévaluée, et les ménages se sont retrouvés avec un patrimoine immobilier dont la valeur était bien inférieure à leur niveau d’endettement.

Le secteur de l’éducation universitaire serait en train de bâtir un nouveau château de cartes avec des diplômes en guise de maisons. Les étudiants s’endettent de plus en plus pour payer des formations de plus en plus chères qu’ils pensent rentabiliser plus tard, alors que les revenus qu’elles promettent sont devenus hasardeux dans un contexte économique difficile.

En revanche, la hausse des frais de scolarité s’annoncerait particulièrement lucrative pour les banques, qui accorderont plus de prêts aux étudiants et qui pourront ensuite revendre ces créances sous forme de subprimes – des emprunts à risque élevé et à haut rendement pour le prêteur – sur les marchés financiers.

Le développement de la bulle serait facilité par une stratégie gouvernementale encourageant l’endettement personnel pour relancer la croissance économique. De fait, cette stratégie est confirmée par la position du gouvernement Charest dans le débat sur la hausse des frais de scolarité, qui consiste à proposer une bonification du crédit par l’amélioration des prêts et bourses.

Contagion américaine ?

L’hypothèse d’une bulle spéculative sur le marché des études universitaires inquiète déjà beaucoup aux États-Unis, explique l’IRIS. « La dette étudiante s’y chiffre actuellement à un millier de milliards de dollars, et 25% des emprunteurs n’arrivent plus à rembourser leurs prêts, ce qui représente 250 milliards de dollars de traites non payées », précise Simon Tremblay-Pepin. Le Canada et le Québec n’en sont pas là, mais la hausse annoncée des frais de scolarité pourrait changer la donne alors que le niveau moyen d’endettement des ménages canadiens atteint 153% de leur revenu annuel, souligne l’institut.

Ces craintes sont exagérées, selon Jacques Raynauld, professeur de finance à HEC Montréal. « La situation américaine est complètement différente. Des universités de second rang demandent 40 000 $ par an alors que les diplômes délivrés ne permettent pas de trouver facilement du travail. Au Canada, il y a des programmes à 25 000 $ par an, mais ils sont ciblés dans des domaines comme la médecine, où les débouchés sont assurés. » De plus, il hésite à faire, comme l’IRIS, le lien entre l’endettement étudiant et celui des ménages canadiens. « Il faut distinguer les dettes contractées pour acheter des biens de consommation, qui sont des dépenses, et l’endettement pour financer des études, qui constitue un investissement », considère-t-il.

Chers diplômes

Germain Belzile, chercheur associé à l’Institut économique de Montréal et maître d’enseignement à HEC Montréal, considère que c’est la valeur des diplômes sur le marché du travail qui est le principal enjeu. Le prix des études ne serait pas un problème tant que le salaire perçu par la suite permet de rembourser le prêt. « La création d’une bulle n’est pas impossible, mais elle ne sera pas reliée au financement des études. En fait, la grande question est : les diplômes sont-ils surévalués? » affirme M. Belzile. Le problème apparaîtrait, par exemple, « le jour où les entreprises se rendraient compte que les gens qui ont un MBA ne sont pas meilleurs que ceux qui n’en ont pas ».

L’argument des salaires plus élevés pour les diplômés universitaires ne convainc pas M. Tremblay – Pepin . « OK pour de meilleurs salaires. Mais si, avec le fort taux de chômage actuel, on ne trouve pas d’emploi ? »

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