Une cinquantaine d’étudiant·e·s se relayent jour et nuit pour occuper le pavillon des arts McCall MacBain de l’Université McGill depuis le 7 mars dernier. Le groupe Divest McGill, responsable de l’organisation de l’événement, réclame la fin des investissements fossiles ainsi que la démocratisation et la décolonisation de l’établissement.
Un campement de quelques tentes, des banderoles appelant au désinvestissement et surtout des dizaines d’étudiant·e·s rassemblé·e·s autour d’un dîner collectif. Pendant que certain·e·s jouent aux échecs, d’autres feuillètent à quelques pas de là les livres d’une bibliothèque improvisée. Le soir venu, des cercles de lecture et de discussion portant sur les enjeux autochtones ou la démocratie directe animent le hall d’entrée du pavillon des arts McCall MacBain.
Cet Occupy McGill a pour principal objectif de faire fléchir le conseil des gouverneurs, l’instance la plus élevée de l’Université, sur la question du désinvestissement. Selon le regroupement étudiant Divest McGill, qui mène cette campagne, près de 35 millions de dollars du fonds de dotation de l’Université trempaient dans les énergies fossiles à la date du 30 novembre 2021. Ces données, obtenues via la Loi sur l’accès à l’information, indiquent que 3,3 % de cette « piscine d’argent » (pool of money, tel que nommé par les militant·e·s) sont consacrés aux hydrocarbures, en excluant les fonds mutuels et les bonds d’obligation.
Selon des organisateur·trice·s de l’événement contacté·e·s par Quartier Libre, « l’occupation se déroule bien ». De plus, des membres du corps professoral et du personnel qui éprouvent de la sympathie pour le mouvement ont fourni des vivres et ont participé à l’organisation d’ateliers. De son côté, le service de sécurité tolère la présence des manifestant·e·s. Néanmoins, le vendredi 11 mars dernier, au terme de la première semaine d’occupation, une sirène d’alarme a retenti pendant plus d’une heure dans le hall du pavillon. « Nous avons l’impression qu’un employé, peut-être plus, a activé la sirène pour menacer l’occupation », ont confié des membres de Divest McGill.
Un mouvement similaire anime le campus de l’UdeM. L’Écothèque, un regroupement étudiant pour la justice climatique, réclame que l’Université se départisse de ses 92,8 millions de dollars en or noir. Toujours le 11 mars dernier, une banderole « Action climatique maintenant » a été suspendue à la tour du pavillon Roger-Gaudry en soutien à Divest McGill.
Une décennie de mobilisation
Les appels au désinvestissement à McGill ne datent pas d’hier. Déjà, en 2012, des revendications se faisaient entendre sur le campus. Au fil des ans, des associations étudiantes, le syndicat des professeur·e·s ainsi que des facultés comme celles de droit, des arts et de l’éducation, ont appuyé la cause. En 2018, le Sénat de McGill, considéré comme l’instance la plus représentative de l’Université, a adopté une motion enjoignant le conseil des gouverneurs à se départir de ses actions liées aux énergies fossiles et à se retirer des fonds mutuels qui financent les compagnies pétrolières.
Or, par trois fois, en 2013, 2016 et 2019, le conseil a refusé de se plier aux différentes demandes de la communauté universitaire. Cette dernière récusation a poussé le professeur de philosophie Gregory Mikkelson à démissionner dans un geste d’éclat en janvier 2020.
À la suite de recommandations de l’un de ses sous-comités, le conseil des gouverneurs a opté en avril 2020 pour une stratégie de décarbonisation graduelle de son portefeuille. Par voie de communiqué de presse, la principale et vice-chancelière, Suzanne Fortier de l’Université, a annoncé que celle-ci allait viser une diminution de son empreinte carbone en déplaçant certains de ses investissements dans des entreprises à fortes émissions de gaz à effet de serre, comme les cimenteries et les aciéries, vers des secteurs d’énergies propres. Néanmoins, cette annonce a été loin de satisfaire les attentes des McGillois·e·s, car l’une de leurs principales demandes, soit le retrait de toutes ses actions contractées auprès des 200 plus grandes pétrolières et gazières, a été rejetée.
Une cause élargie
Depuis novembre 2021, les membres de Divest McGill ont ajouté de nouvelles revendications à leur cahier des charges. Les appels à la démocratisation et à la décolonisation de l’institution s’ajoutent maintenant aux demandes de désinvestissement. En effet, le conseil des gouverneurs se compose de 25 membres dont seulement 8 sont élus directement ou indirectement par la communauté universitaire. De plus, 12 sièges sont occupés par des personnes issues de la société civile et nommées par un sous-comité du conseil. Certains de ces 12 gouverneurs appartiennent au milieu des affaires, dont Maryse Bertrand (Banque du Canada, Metro Inc.), Claude Généreux (Power Corporation), Samuel Minzberg (Banque HSBC Canada) ou encore Maarika Paul (Caisse de dépôts et placements du Québec).
Les appels à la décolonisation de l’établissement rejoignent ceux pour le désinvestissement e au sujet du financement du gazoduc Coastal GasLink, en Colombie-Britannique. Ce projet demeure controversé et plusieurs communautés autochtones s’y opposent. Toujours en date du 30 novembre 2021, l’Université McGill détenait 3,6 millions de dollars en actions de l’entreprise TC Energy, elle-même propriétaire de Coastal GasLink.
Les refus répétés du conseil des gouverneurs en matière de désinvestissement, de même que la composition de ses membres, sont maintenant dans le viseur de la Coalition Democratize McGill. Cette dernière est née en novembre 2021 d’un front commun entre divers groupes étudiants, dont Divest McGill, Queer McGill et la Réplique socialiste à Concordia et McGill.
Les citations des membres de Divest McGill ont été librement traduites de l’anglais.