Volume 21

Chaque année, les établissements d’enseignement supérieur se fient aux classements des meilleures universités

Des classements invalides?

L’UdeM se situe parmi les cent meilleures universités mondiales selon le classement du QS World University Ranking de 2013. Si les classements sont le seul moyen donné aux établissements de se mesurer aux autres campus à l’échelle mondiale, le sociologue des sciences et professeur à l’UQAM Yves Gingras met en doute leur validité et dénonce les effets pervers de l’évaluation de la recherche.

Dans son dernier livre Les dérives de l’évaluation de la recherche. Du bon usage de la bibliométrie paru en janvier dernier aux éditions Raison d’agir, M. Gingras s’érige en détracteur des classements. «Qui a dit que le QS était prestigieux? C’est de la frime!» s’indigne-t-il. Le fait que l’UdeM ait grimpé de 45 positions en deux ans montre bien que c’est absurde.» L’UdeM a progressé de 45 rangs dans le dernier classement QS. Cette évolution la placerait maintenant à la 92e place parmi les meilleures universités à l’échelle mondiale.

Pour Yves Gingras, l’émergence des classements mondiaux au début des années 2000 s’inscrit dans un courant néolibéral qui fait des universités un marché comme un autre. «Qui dit marché dit compétition et marketing », affirme-t-il. Selon l’auteur, les universités sont atteintes par une véritable fièvre de l’évaluation. « Le monde universitaire est aujourd’hui dominé par des gens en communication qui sont ignorants des missions des universités», s’exclame-t-il.

L’Université est consciente que ces classements mondiaux sont imparfaits, mais elle leur reconnaît une utilité. «Les classements sont la seule méthode diffusée à grande échelle année après année, explique le porte-parole de l’UdeM, Mathieu Filion. Il s’agit d’une manière pour l’UdeM de se faire connaître à l’international par des gens qui ne nous auraient pas connus.» Il croit aussi que ces classements permettent au campus de se comparer aux autres.

Les classements ne mesurent que les cycles supérieurs, qui représentent environ 20 % d’une université prévient M. Gingras. «Est-ce que les baccalauréats sont bons à l’UdeM? On n’a aucun moyen de le savoir avec cette façon de faire», soutient-il.

Des classements influents ?

Certains étudiants utilisent les classements quand il s’agit de choisir une université à l’étranger. La diplômée en histoire de l’art de l’Université McGill Sandrine Chauveau-Sauvé avoue s’y être fiée pour choisir l’Université du Sussex en Angleterre pour sa maîtrise en sciences sociales. « J’ai choisi McGill pour mon baccalauréat en grande partie pour son prestige, mais aussi pour son caractère “campus à l’américaine”, explique-t-elle. Quand est venu le temps d’étudier en Angleterre, je me suis fiée aux classements pour choisir. Je voulais être sûre d’aller dans une bonne université et je n’avais pas de repères. »

Toutefois, quand il s’agit d’étudier dans leur propre pays, les étudiants ne s’appuient pas beaucoup sur les classements. « J’ai choisi l’UdeM parce que c’était l’université francophone montréalaise avec la meilleure réputation, mais pour être sincère, je ne connaissais pas ces classements, explique l’étudiante à la maîtrise en histoire de l’art Fanny Patrie. J’ai décidé de poursuivre au cycle supérieur, car mon baccalauréat m’a convaincue de la qualité de l’enseignement.»

Certains étudiants privilégient même la proximité géographique plutôt que la réputation de leur établissement d’études. «J’ai choisi d’étudier à l’UdeM parce que c’est une université francophone proche de chez moi», soutient l’étudiante au baccalauréat bidisciplinaire en psychologie et sociologie Anne-Carine Bernadin. Elle ajoute aussi que l’UdeM était la seule à offrir un tel baccalauréat.

Invalidité scientifique

Peu de personnes connaissent les calculs derrière ces classements qui «mélangent des pommes avec des oranges», selon M. Gingras. Le sociologue considère que les indicateurs des classements de Shanghai et de QS ne répondent pas aux propriétés de bon indicateur scientifique. «On mesure avec un mauvais thermomètre, on donne la mauvaise température et on donne des politiques absurdes », regrette-t-il.

Parmi ceux-ci, le nombre d’enseignants et d’étudiants étrangers est considéré. « S’il est important d’avoir un certain nombre d’enseignants étrangers, une université qui en emploie 90% serait une université colonisée qui n’est pas capable de se former elle-même », assure M. Gingras. Le sociologue explique que cette façon de faire pousse les universités à favoriser les enseignants étrangers pour voir leur position grimper dans le classement mondial. «Je ne donnerai pas de nom, mais certaines universités n’embauchent que des Américains qui sont complètement déconnectés de la réalité canadienne et québécoise», dénonce-t-il.

Ces classements mondiaux prennent aussi en compte des facteurs qui ont peu d’impact sur les étudiants, comme le nombre de prix Nobel. «Ce prix est accordé en moyenne 25 ans après la recherche qu’il récompense, remarque le sociologue. C’est donc complètement absurde d’utiliser ce critère pour mesurer la qualité actuelle d’une université.»

Le doctorant en sociologie à l’Institut national de recherche et de sécurité (INRS) Gabriel Rompré souligne aussi que tous les départements d’une même université ne se valent pas. « Ces classements ne servent à rien si le département dans lequel tu poses ta candidature n’a pas le niveau du reste de l’Université, soutient-il. Par exemple, McGill, c’est très bien pour le droit et la médecine, mais pour la sociologie, on repassera.» Il recommande aux futurs étudiants des cycles supérieurs de choisir leur université surtout en fonction des professeurs afin de bien choisir leur directeur de recherche.

 

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